Chapitre 1

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LUBNA






J'ai les mains douloureuses, je serre ma lèvre pour retenir mes sanglots, je crains de subir un nouveau reproche et une gifle, je respire à fond en me relevant du sol et en emportant le panier de raisins, je suis épuisée, je souffre de partout et je rêve de fermer les yeux.

Ou de disparaître.

Aujourd'hui, je pense sincèrement que je devais mourir à la naissance et pas ma mère en accouchant, mais le destin a voulu que je vive, même s'il a l'air de me haïr car papa a succombé à une maladie quand j'avais dix ans, me laissant à la merci de ma tante, une femme qui me déteste énormément. Elle me hait plus encore que le roi.

Dans deux mois, je fêterai mes dix-huit ans et je pourrai quitter cette ville avec les quelques sous que j'ai mis de côté, mais je garde espoir, je vais commencer à vivre sans avoir peur d'être brutalisé jusqu'à l'épuisement.

J'entends des bruits de pas derrière moi, mon corps se raidit de terreur.

— Lubna, dépêche-toi avant que maman ne vienne, je ne veux pas qu'elle te batte.

Je  pousse un grand soupir de soulagement, c'est Yasser, mon cousin, il vient avec des caisses très pesantes.

Je fais un signe de tête vers lui en retournant au champ, je vide le panier dans la cuve où les filles les foulent avec leurs pieds, pour reprendre la cueillette.

C'est ce que je fais depuis toujours, quand papa était vivant, je l'aidais en portant de l'eau fraîche aux travailleurs, mais maintenant je suis comme eux, je travaille sous le soleil et à l'ombre, sous la pluie, le soleil et l'orage, je me donne à fond, même si je suis malade.

Si tu ne travailles pas, tu ne manges pas. C'est aussi simple que ça.

Je sens que je vais tomber dans les pommes, Yasser me tend un verre d'eau, il se fait du souci pour moi.

Je lui souris avec le peu de force qu'il me reste pour essayer de le rassurer, de tous mes cousins, c'est lui que je préfère car il m'a toujours défendu, à sa façon, mais il l'a fait.

Le contremaître arrive en nous disant que nous avons fini, que tout le monde prenne ses affaires et rentre à la maison.

Je me dépêche de saisir mon sac à dos, glissant quelques raisins sans que personne ne me voie pour les savourer plus tard et je cours pour rejoindre Yasser.

Je déteste le regard du contremaître sur moi, ça me fait froid dans le dos.

— Tu as l'air très mal en point.

— Je me sens mal, je suis très épuisé, mes mains me font souffrir, mais ne te fais pas de souci, avec une bonne douche et quelques tranches de pain je retrouverai la forme.

Des tranches, oui, parce que je n'en ai jamais avalé un entier, on n'a pas le droit de se remplir le ventre, la nourriture qu'on nous apporte n'est pas assez car nous formons une grande famille, ma tante a eu neuf enfants et quand j'ai intégré la famille, j'ai augmenté la ration à partager, douze personnes habitaient dans cette petite cabane jusqu'au mariage des premiers enfants de ma tante, maintenant nous sommes huit, même si nous manquons toujours de place comme au début, mais nous nous arrangeons, je ne cause pas beaucoup avec les autres puisqu'ils bossent dans la mine et ne rentrent que le week-end, le seul avec qui je travaille dans les champs est Yasser, car il est le plus jeune.

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