Chapitre 5

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Shama n'arrivait toujours pas à croire qu'elle était à Corneille.

Elle inspira la brume du matin en fermant les yeux pour mieux apprécier cette odeur boisée qui lui avait tant manquée.

Le cottage de sa grand-mère était perché entre deux collines couvertes de verdures, et faisait face à une vaste forêt qui avait souvent nourri son imagination abracadabresque plus jeune.

La nature dominait, et comme pour le prouver, un écureuil enjamba la jeune fille sans témoigner de peur.

La porte s'ouvrit enfin pour laisser apparaître sa grand-mère vêtue d'un vieux tablier rose. La surprise se peignit sur son visage, et Shama se hâta à lui offrir un câlin.

Le câlin ne semblait pas vouloir se terminer et Shama ne s'en plaignait pas ; Sa grand-mère lui a tant manqué.

_ Qui est-ce ?

Une tête qu'elle ne connaissait que trop bien apparut derrière Amanda, et Shama se sentit comblée. Les deux êtres qu'elle aimait le plus au monde étaient là, au même endroit.

Belle poussa un cri empli d'extase en constatant que son amie était enfin arrivée.

_ Que fais-tu ici ? Demanda Shama une fois qu'elles furent au salon tapissé de vieux meubles où elle a lu tant d'histoires en étant enfant.

_ Je t'attendais. Avoua-t-elle.

Shama lui offrit un sourire, émue de revoir Belle après autant de temps.

Belle aussi avait quitté le village pour aller suivre ses études ailleurs, et depuis, elles ne se sont plus revues. Elles se parlaient presque tous les jours au téléphone, et en de rares occasions s'appelaient en vidéo, mais sans plus.

Sans effacer son sourire du visage, Shama ferma les yeux un instant pour mieux apprécier cette atmosphère nostalgique.

De là où elle était, elle arrivait à distinguer le tintement de la vaisselle ainsi que les pas légers de sa grand-mère qui s'affairait seule au fourneau.

Elle refusait catégoriquement de recevoir de l'aide, et Shama se sentit mal de ne rien faire. Toutefois, ça lui permettait de passer plus de temps avec son amie, et ce n'était pas sans lui déplaire.

_ Tu veux marcher un peu ? Proposa Belle.

La requête tombait à pic.

En jetant un coup d'œil à la cuisine, on pouvait constater désolé qu'Amanda s'affolait dans la cuisine.

Elle se précipitait d'un plan de travail à un autre en s'essuyant hâtivement les mains dans le tablier dans l'espoir de finir plus vite, comme coupable de les faire attendre.

_ Je pense que ce n'est pas une mauvaise idée.

Les deux amies allèrent prévenir la grand-mère avant de quitter la maison, et elle ne cacha pas son soulagement de les voir partir. Puis, en un battement de cil elles se retrouvèrent au milieu d'un paysage féerique qu'elle connaissait pas cœur.

_ Ça m'a tant manqué ! Déclara Shama en pivotant sur elle-même.

Elle laissa la douce brise effleurer son visage, et l'accueillit dans un souffle de satisfaction.

Et dire qu'il y'a à peine quelques jours, elle rêvait de cet instant.

_ Loup ! Cria Belle de nulle part en venant taper sur le bras de la jeune fille qui ne tarda pas à la poursuivre.

Shama tenta de rattraper son amie qui semblait s'éloigner de plus belle.

Elles se mirent à courir sans se préoccuper d'où leurs pas les mèneraient.

Shama détestait ce jeu. Depuis petite, elle n'a jamais réussi à gagner et ça la contrariait plus qu'elle ne laissait apparaître.

_ Depuis quand tu cours aussi vite ? Demanda Shama en se laissant tomber à côté de Belle.

_ Je m'améliore chaque jours. Se moqua la brune en dévisageant son amie essoufflée après si peu ; Je peux affirmer le contraire pour toi.

Shama ne se sentit pas blessée du commentaire de son amie. Au contraire, ça la fit rire.

_ Il faudra que tu m'apprennes.

Le silence qui s'ensuivit n'avait rien de pénible. Il était juste parfait pour les laisser se connecter à la nature qui les entourait de tout part.

Shama se laissa distraire par le doux chant des oiseaux en tentant d'oublier ses problèmes pour un instant. Elle voulait profiter de ce voyage aussi bien qu'elle pouvait, et était décidée à ne laisser rien le gâcher pour elle.

Les arbres dansaient au gré du vent en offrant un paysage paradisiaque que personne ne pouvait résister.

Asad El-Muqtadir roulait depuis des heures déjà quand ce village perdu derrière les forêts se présenta à lui.

Il avait tout d'un conte.

Les maisons qui jonchaient le chemin étaient assez éloignées pour offrir à chacun une intimité devenue rarissime au nord, et l'herbe qui tapissait le sentier était aussi haute qu'une vague ondoyant sous la caresse du vent.

_ C'est magnifique. Souffla son frère assis sur le siège passager.

Ça l'est. Pensa Asad en contemplant le cerf traverser devant lui.

La nature avait repris ses droits, et le silence qui planait portait à croire que ce village était abandonné.

_ Tu veux t'arrêter ? Demanda Zayd en remarquant que son frère venait de couper le moteur.

_ J'ai besoin de me dégourdir les jambes.

Asad suivit le chuintement de la rivière pour s'orienter. Il régnait sur un pays ravagé par la guerre et son ouïe s'en retrouva aiguisée. Aux aguets, Asad ne se reposait jamais. Ses ennemis étaient bien trop nombreux.

_ Tu penses agir bientôt ? Demanda son frère comme s'il avait réussi à lire en sa mine rembrunie.

Les rebelles venaient d'attaquer une tribu au sud de son pays, et Asad ne pouvait pas rester sans réagir. Des hommes ont péri au combat. C'était la première fois que ses ennemis s'en prenaient à son peuple et Asad était décidé à y mettre un terme. Il avait déjà un plan en tête et n'attendait que le moment opportun pour riposter.

Asad El-Muqtadir était le cheikh d'Al-Khayyam. Un homme impitoyable qui inspirait la terreur au cœur de ses ennemis. Les magazines d'Europe le décrivaient comme un barbare, et ce n'était pas totalement faux.

C'était un homme attaché à sa culture.

_ Je voulais éviter de faire couler plus de sang...

Il ne termina pas sa phrase. Il n'y avait rien à terminer. La guerre était inévitable, et Zayd le savait. Il n'a fait que retarder le moment fatidique en tentant une approche diplomatique avec les rebelles. Désormais, Asad était prêt à mener cette bataille.

Consumé de colère, Asad remarqua trop tard qu'ils n'étaient plus seuls.

Des rires se mêlaient au chuintement de la rivière, et quand le cheikh El-Muqtadir se retourna pour voir qui venait de les interrompre, il fut submergé d'un feu ardent qu'il ne pouvait s'expliquer.

Perchée sur la branche d'un pommier, la jeune femme était d'une beauté à couper le souffle.

Ses cheveux désordonnés tombaient en cascade sur sa poitrine qui se révélait généreuse. Ses yeux à la couleur du miel appelaient à s'y perdre. Tel deux aimants. Ses pommettes relevées et son nez en trompette apportaient une touche innocente à ce visage envoûtant.

Asad n'a jamais rien vu de tel.

D'un simple regard, la jeune fille réussit à l'ensorceler et Asad comprit, dépassé, qu'il n'était plus maître de cette ardeur qui jaillissait en lui.

_ Ya Allah. Souffla-t-il en ayant du mal à croire ses yeux.

ShamaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant