Chapitre 39

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Le cheikh, immobile, sentit le brûlant picotement de la douleur irradier jusqu'à sa joue.

_ Vous avez fait quoi à l'instant ?

_ Vous n'aviez pas besoin de me fuir comme la peste. S'écria-t-elle en l'accusant du doigt.

_ Je ne vous ai pas fui, je vous ai protégé.

_ Parce que me dégrader ainsi c'est protéger ? S'emporta-t-elle en se sentant déshonorée, sale.

Elle avait envie de vomir tellement la scène était répugnante.

Sa bouche, tordue dans une expression de dégoût, vibrait violemment tandis que ses yeux avaient cédé aux larmes, l'emportant dans des sanglots sonores.

_ Je ne vous ai aucunement dégradé, et je refuse que vous m'accusiez de ce que je n'ai pas commis. Hurla-t-il, les sourcils sévèrement froncés.

_ Parce que me fuir alors que vous êtes la raison de mon désir n'est pas dégrader ? Comme quoi les hommes nous apprennent vraiment des choses parfois.

Les mots s'évacuaient sans son accord, et, l'esprit embrouillé, Shama ne s'entendait point parler.

Elle était furieuse, et chaque fibre de son être tremblait dans une tempête intérieure. Mais, au-delà de cette colère, une vague de nausée la submergeait alors qu'elle pressait une main sur ses lèvres en tentant de se retenir. Seulement, c'était bien trop violent.

En la rejetant ainsi, il avait dessiné un portrait léger d'elle, mensonger... déformé, et elle ne le supportait pas. Sa dignité s'en trouvait heurtée et dans cette mélancolie, chaque mot se transformait désormais en une insulte directe à son intégrité, irritant ses chairs, tordant son ventre dans une gêne incontrôlable.

Les épaules secouées de violents spasmes, Shama, écrasée, rejeta le contenu amer de son estomac devant un cheikh dépassé par la situation.

Ses larmes se mêlaient à sa bile dans un portrait désagréable tandis qu'elle tentait de reprendre son souffle entre chaque hoquet.

Son visage était déformé par l'humiliation qu'elle subissait en silence, marqué par une vulnérabilité brutale qui réussit à reporter l'attention du cheikh sur ce qu'il y'avait de plus important.

Ignorant ses accusations, il tenta de l'approcher dans l'espoir maladroit de la réconforter.

_ Ne me touchez pas ! Hurla-t-elle en se dégageant de sa prise.

_ Je n'ai jamais voulu en arriver là. Cria-t-il à son tour, les yeux embués de chagrin, incapable de saisir pleinement où avait dérivé la situation ; Je n'avais pas l'intention de vous blesser.

_ Mais vous l'avez fait, maintenant, dégagez.

_ Si je dégage, vous comptez rentrer à pied peut-être ? Demanda-t-il en accueillant l'insulte sans broncher.

_ Si vous dégagez, je me débrouillerai.

_ Vous mourrez dans le désert espèce de sotte. S'emporta-t-il en la relevant d'un coup sec, la jetant sur son épaule en faisant fi de son poids accablant.

_ Descendez moi tout de suite !

_ Je suis le roi, personne ne m'ordonne.

_ Vous n'êtes qu'un fou.

_ Vous ne pensez pas vos mots. Se murmura-t-il à lui-même dans une ultime tentative d'excuser ses mots mordants ; Pourquoi êtes-vous descendue ? Pourquoi m'avez-vous suivi alors que je cherchais simplement à calmer mon propre appétit ?

_ Je vous retourne la question. Pourquoi ? Pourquoi n'avez-vous pas assumé la chaleur qui se répandait de votre propre corps ? Pourquoi avez-vous cherché à fuir ?

_ Parce que si j'étais resté sur ce chameau je vous aurais forcé à m'embrasser. Hurla-t-il en la jetant sur son compagnon, les yeux en sang ; Vous n'êtes qu'une idiote ! Vous auriez pu vous casser les côtes.

_ Vous aviez promis de ne pas m'abandonner.

_ C'était avant que vous commenciez à vous trémousser. Lâcha-t-il d'un coup avant de mesurer la cruauté de ces paroles ; Désolé. Ce n'est pas ce que je voulais dire.

_ C'est parfaitement ce que vous vouliez dire. C'est parfaitement comment vous me voyez. Me trémousser ! Vous pensez que je suis une petite allumeuse et vous me l'avez prouvé à bien des situations. Avouez ! Arrêtez de vous berner et soyez sincère avec vous-même.

_ Je... Que se passe-t-il ?

Asad s'apprêtait à répliquer à ces accusations infondées dont l'incriminait la seule femme qui l'intéressait en ce bas monde, mais une horde de sable au loin l'interrompit dans sa tirade.

Une vague du désert les approchait à une vitesse affolante, embrouillant tout sur son passage.

Les mâchoires serrées, les pupilles dilatées... il tentait de repérer le danger en tenant fermement Shama contre lui, et cette fois, elle ne chercha pas à se dégager de sa prise malgré sa colère fulminante.

_ Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?

Shama, assise de force sur ce chameau, tenta de repérer de quoi parlait le cheikh, mais n'y voyait qu'un brouillard épais de sable.

Seulement, le ronronnement sourd ne trompait pas.

Une voiture les approchait dangereusement, ternissant davantage l'horizon.

_ C'est quoi ça ? Qu'est-ce qui se passe ? Répéta-t-elle en sentant la panique l'envahir, le corps encore tremblotant de leur dispute.

_ Ne vous inquiétez pas, c'est visiblement l'un de mes hommes. La rassura-t-il en reconnaissant l'insigne royal. Cependant, ça ne justifiait pas cette arrivée brusque.

Tout le monde avait reçu l'ordre de ne pas les déranger, et Asad se demandait qui avait osé transcender ses directives.

_ J'espère que vous avez une bonne raison de nous interrompre. Dit-il enfin quand la tempête s'apaisa, révélant un homme qu'il ne connaissait que trop bien.

Son conseiller transpirait, le front perlant à de grosses gouttelettes, et quand il quitta le véhicule, Shama manqua un hoquet d'effroi.

L'homme impeccable qu'elle connaissait était dans un état déplorable.

Le souffle saccadé, les pas chancelants, il semblait chercher ses mots dans une urgence aveuglante.

_ Parlez ! Dites ! Qu'est-ce qui vous amène ici ? Hurla Asad en se refusant à un quelconque malheur.

Cette journée aurait dû être son moment, faire son bonheur. Toutefois, il se retrouvait mêlé à une ultime dispute avec sa chère, et désormais, il se trouvait au sein d'un chaos.

Oui, c'était le chaos.

Il suffisait de voir les yeux exorbitants de son conseiller pour le comprendre.

Il renvoyait le reflet parfait d'un homme confronté à une sombre réalité, et le cheikh, dans une peine immense, comprit que les rebelles avaient dû encore frapper.

_ Qu'est-ce qu'ils ont osé attaquer cette fois ? Où en est arrivé leur folie ?

Le cheikh s'apprêtait à entendre toutes les nouvelles.

Dans sa tête, il élabora toutes les possibilités, envisageant chaque scénario avec une minutie stratégique. Ou du moins, presque toutes...

_ Mes hommes ? Mes biens  ? Mon peup... ? Énuméra-t-il alors que son conseiller semblait chercher ses mots, la mine en deuil.

_ Votre frère votre majesté. La folie de vos ennemis a atteint moulay Zayd El-Muqtadir. L'interrompit-il brusquement en chevrotant, comme si lui-même refusait de s'écouter, n'acceptant point cette version des faits.

ShamaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant