Epilogue

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_ Vous êtes sûr de vouloir partir seul votre majesté ?

Non. Songea-t-il en regardant le soleil déclinant teinter le ciel d'une palette douce, comme s'il s'apprêtait à clôturer cette énième journée où il n'aurait jamais dû exister.

Ce n'était pas à lui de vivre.

Ce n'était pas à lui de survivre.

_ Je suis sûr lalla Sabina. Chuchota-t-il dans un murmure à peine audible en offrant une dernière révérence à son épouse avant de s'effacer docilement de la chambre.

Il avait besoin de sortir... de quitter ces lieux hostiles où tout s'était mué en de silencieux regrets. Les corridors, les jardins, les allées... tous étaient témoin de son chagrin – de ses pensées errant en le passé... entre ce qui aurait pu être, ce qui aurait dû être, et ce qui avait été.

Ses pensées qu'il détestait.

Ses pensées qui n'avaient toujours pas réussi à faire la paix.

Et comment pouvaient-ils ? Tout était encore trop récent, cruellement récent.

_ où allez-vous votre majesté ? Demanda une voix chevrotante qui venait de le rejoindre devant ce gigantesque portrait qui l'avait une énième fois arrêté dans son élan, l'obligeant à le regarder.

Il ne voulait pas le regarder.

Il voulait ordonner à ce qu'on le retire, à ce qu'on efface ce rire éteint à jamais, et pourtant, il ne faisait rien pour assoir son autorité.

Il ne le pouvait pas.

Même si la douleur était inéluctable, il n'arrivait pas.

_ Honorer leur mémoire.

Sa voix était à peine plus haute qu'un murmure... qu'un gémissement plaintif.

_ Permettez-moi de vous rejoindre.

C'était un appel... une supplication... un besoin.

_ Dans ce cas-là, venez Ahmed. Allons leur payer notre respect.

Se tenir devant ce portrait était dur, affligeant. Mais, se tenir devant ces tombes étaient laborieux, déchirant.

C'était une agonie où ses larmes s'exprimaient pour lui, où ses sanglots répétés murmuraient ce qu'il aurait dû dire.

A ses côtés, son conseiller priait et il l'écoutait, agenouillé.

Il était accablé, mais pas le jour.

Le jour l'ignorait – il continuait de vivre.

Car,

Aujourd'hui n'était pas muet, les oiseaux chantaient. Ne chantaient-ils pas ?

Aujourd'hui n'était pas figé, les arbres dansaient. Ne dansaient-ils pas ?

Aujourd'hui n'était pas triste, le ciel souriait. Ne le faisait-il pas ?

Oui, et puis il y'avait moi pour ignorer toute cette beauté et me lamenter.

_ Désirez-vous rentrer votre majesté ?

Ahmed qui venait de finir ses quelques versets, le regardait en retenant à peine le flot de larmes qui menaçait de couler.

Oui, c'était encore trop tôt.

_ Je vous rejoindrais Ahmed. Je vous rejoindrais plus tard. Susurra-t-il sans quitter du regard ces deux tombes unies, voisines dans leur éternel repos, car, devant l'antichambre du destin, il avait encore besoin de temps pour pleurer son frère... sa destinée.

Il avait encore besoin de temps pour écouter les échos des souvenirs se mêler à la douce brise de vent, et Ahmed l'avait compris.

Ahmed avait compris que son roi avait besoin de se réconcilier avec ce qui était advenu.

Ahmed, témoin des tourments du monarque, avait compris que son roi avait besoin de temps pour pardonner son frère. 

Il avait compris que le roi avait besoin de temps pour accepter cet abandon amer.

_ Alors je vous attendrais pour ce soir moulay Zayd. Le palais vous attendrait.

_ Et je vous promets de rentrer.

Oui je vais rentrer mon frère.

Désolé, mais ce soir, je vais rentrer.

J'aurais aimé faire comme toi et tout abandonner, mais Al-Khayyam m'a élu et je ne me vois pas la délaisser comme tu as fait.

C'est un devoir dont je ne peux plus me défaire – un devoir qui me pousse à tout laisser derrière.

Mes rêves, mes aspirations, et même mon cœur en émoi.

Me trouves-tu faible de ne pas suivre ta voie ?

De ne pas me battre pour vivre l'amour à mon tour ?

De me laisser aller comme une marionnette entre les filets ?

Sûrement, mais pardonne-moi de t'attrister.

Pardonne-moi mon frère de me laisser aller.

Je ne suis pas aussi fort que toi.

Toi, tu es Asad El-Muqtadir, le vrai roi.

ShamaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant