Chapitre 32 - Nina

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Andrew m'embrasse avec tendresse sous les gloussements de Lola qui nous observe du coin de l'œil. Je rigole quand elle fait une grimace de dégoût dans l'ascenseur. 

— On peut manger de la glace?

— Tu n'as fait que manger tout le weekend, je lui fais remarqué.

Depuis que nous vivons avec Andrew, Lola s'est découverte un appétit d'orge. Il a fallu qu'on vienne vivre ici pour que je me rende compte que ma petite sœur souffrait aussi de la faim. Elle n'a jamais mangé autant qu'elle le voulait, malgré tous mes efforts. Son cœur bien trop gros pour une si petite fille me rend fière. J'écoute d'une oreille distraite ses arguments bétons pour justifier une glace après le dîner avant d'aller se coucher. J'ai sacrifié ma vie pour la voir s'épanouir et je suis heureuse de voir que j'ai plutôt bien réussi. Elle est intelligente, maline, serviable, gentille et bienveillante. Même si elle pose un peu trop de questions. 

Ma clé dans la serrure, je déverrouille la porte et Lola file devant moi pour aller poser la cage de Pouic. Je rigole en la voyant faire jusqu'à ce que j'entende un bruit sourd. J'ai à peine le temps de relever la tête que je la vois s'effondrer sur le sol, sa robe bleu ciel virant au vermillon. Mes yeux fixent le trou béant dans sa poitrine, figée, incapable de bouger. 

— Tu vas me suivre sans faire de vague où tu finiras dans le même état.

Juan ... Juan a tué ma petite sœur, mon petit trésor, mon rayon de soleil. Je cours vers elle, je dois l'aider, peut être ... peut être qu'elle respire encore, peut être que son cœur bat encore ... Sa poitrine ne bouge pas alors que du sang s'étale tout autour d'elle, toujours plus. Elle ne peut pas mourir, pas si jeune. Elle a toute la vie devant elle, c'est impossible. Mes mains sûr elle, je tente de faire compression en vain.

Juan attrape ma queue de cheval et me tire en arrière. J'étouffe un cri de douleur. Il me traîne comme un chien, m'éloignant de ma seule et unique raison de vivre. Je ne me débats même pas, qu'il fasse ce qu'il veut de moi, je n'ai plus aucune raison de me battre. Nous descendons au sous sol. Dans le parking, il me jette derrière le volant d'une vieille Mustang. Une fois installé côté passager, il pose le canon froid de son arme sur ma tempe et m'ordonne de démarrer. Mes gestes guidés par mon apathie mettent le moteur en route avant de traverser la ville. 

On roule depuis une heure au moins. La ville est loin derrière nous et les routes se font de plus en plus sinueuses, la nuit noire englobe mon atonie. 

— Tu as voulu me balancer aux fédéraux, tu vas payer sale pute, crache t il excédé par mon manque de réaction. 

Qu'il fasse ce qu'il veut, je suis morte en même temps qu'elle. Au loin j'aperçois un virage en épingle, je devrais ralentir, je devrais ... mais je ne le fais pas. Elle est morte, je n'ai plus aucune raison de vivre et je refuse de mourir en le laissant derrière moi. Il va payer. J'accélère.

— Qu'est ce que tu fous? hurle t il.

Trop tard. Le pare choc s'explose contre un vieux chêne. Le pare brise vole en éclat sous le choc, entaillant mon visage. Mon front frappe le volant et je perds connaissance. Quand je reviens à moi, je suis frigorifiée. Il fait toujours nuit. Je tourne la tête, un hurlement de terreur m'échappe quand je vois le visage de Juan tourné vers moi les yeux grands ouverts dans une expression de peur figée. Une branche transperce sa gorge couverte de sang séché depuis longtemps. 

Je mets un temps fou à m'extirper de la voiture, mes doigts engourdis par le froid. Quand mes pieds touchent enfin le sol, je titube au milieu de la route. Ma tête tourne, ma vision se brouille avant de revenir à la normale, mon estomac proteste. Mes gestes sont lents et incertains. Comment je vais faire pour rentrer? Mon téléphone est perdu quelques parts dans ce tas de taule. Et puis, je me souviens de la raison pour laquelle j'ai foncé dans cet arbre. 

Lola ....

Lola est morte, à cause de lui ma petite sœur n'est plus. Je n'avance plus, je reste tétanisée au milieu de cette route abandonnée. Je n'ai même pas peur, j'ai juste envie que tout s'arrête. Pourquoi je ne suis pas morte moi aussi? Pourquoi? Je ne mérite pas de vivre. Tout est ma faute, c'est à cause de moi qu'on en est là aujourd'hui. Sans mes bêtises, Juan nous aurait laissé tranquille. Lola aurait été heureuse et serait vivante. Tout est ma faute. J'ai honte, j'ai mal.

La lumière m'interpelle avant le son du moteur. Le temps que je tourne la tête vers le véhicule, les crissements de pneus ne suffisent pas et mes jambes sont balayés par le pare choc, ma tête se fracassant contre le pare brise avant que mon corps ne glisse sur le sol comme une vulgaire poupée de chiffon.

— Oh mon Dieu, oh mon Dieu. Madame? Vous m'entendez? Je vous ai pas vu, oh mon Dieu. Madame?

 J'essaie d'ouvrir la bouche mais je n'y arrive pas. Mes yeux restent figés, je ne sens plus rien d'autre que la douleur lancinante dans mon cœur. Un flottement apaisant m'envahit, je vais la rejoindre, je ne souffrirai plus.

— Madame?!!! Madame?!!!

On me secoue dans tous les sens mais je n'ai plus la force de me battre, je l'ai trop fait, trop longtemps, pour elle. Elle n'est plus alors qu'on me laisse en paix. Je veux juste la rejoindre, la revoir sourire, entendre à nouveau sa voix et ses questions agaçantes, c'est tout ce que je veux. Je ferme les yeux et me laisse envahir par ce sentiment de plénitude. 

HOPELESSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant