Partie 4 - Loki

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Je ne pensais pas me retrouver dans l'atelier de Mark si tôt. J'ai encore mon comportement d'hier en travers de la gorge, si bien que je fais tout pour éviter son regard. Pourtant, je suis dans son garage avec Scott, en train de bosser sur le moteur de sa voiture. Monsieur la veut plus performante, et pour cause, sa défaite d'hier s'est jouée à quelques secondes près.

J'ai bien envie de lui dire que ce n'est pas la faute de sa voiture, mais que la course s'est jouée sur la technique des conducteurs. Il n'y a rien d'anormal sous son capot, pas plus qu'hier soir, lorsque je l'ai vérifié. Mais bon, il s'est plaint toute la nuit. Scott était tellement déçu qu'il a utilisé ce prétexte pour dormir avec moi. On n'est plus des enfants, mais j'ai quand même craqué. J'ai beau me dire que je le foutrais bien dehors, mais je me fais toujours avoir, surtout que monsieur pique toute la couette et ronfle.

— Comment s'est finie la nuit ? demande Mark.

— Loki m'a laissé dormir chez lui pour épancher ma tristesse, mais il n'a pas voulu de mon corps, s'exclame Scott d'un air mélodramatique, la main sur le front et la tête penchée en arrière.

Son cinéma fait au moins rire le propriétaire des lieux. Je suis habitué à son humour décalé et beauf. Il est vrai que, par le passé, il a déjà tenté quelque chose avec moi, mais j'étais trop effrayé à l'époque par l'idée d'avoir des relations sexuelles avec mon seul ami. Aujourd'hui, c'est inenvisageable de le voir de cette façon. Je n'irai pas jusqu'à le décrire comme un frère, mais on n'en est pas loin. J'avais surtout trop peur de le perdre. Cette peur est toujours là, bien présente : la peur qu'un jour il trouvera mieux ailleurs, qu'il m'abandonnera à son tour. Alors, pour oublier que ce jour viendra, je le laisse me prendre dans ses bras pendant son sommeil, rassuré par sa respiration. De nous deux, finalement, c'est peut-être moi l'enfant.

Scott continue de faire des blagues douteuses qui font rire Mark. Il le fait sans doute pour détendre l'atmosphère, qui est tendue depuis que nous avons mis les pieds ici. Je ne sais pas vraiment sur quel pied danser. Je n'aurais jamais dû me comporter comme je l'ai fait hier, que ce soit avec l'un ou l'autre. Scott fait comme si rien ne s'était passé au restaurant, et Mark fait l'autruche, tout comme moi. C'est définitivement une situation pénible. J'aimerais bien en sortir.

Les laissant discuter, je me dirige vers l'arrière de l'atelier et soulève la bâche qui recouvre une Yamaha XJR400, qui a souffert d'un violent accident. Mark essaie de la retaper depuis un moment, mais il lui manque une pièce. Si j'ai bien compris, son client ne veut que des pièces d'origine et il serait prêt à y mettre le prix. J'ai travaillé dessus quelques week-ends, pour dépanner, mais cela fait presque huit ans qu'elle est là. C'est peut-être l'une des premières motos que j'ai retapées.

Je ressens une certaine nostalgie en repensant à l'époque où Mark me formait à la sortie des cours, puis lorsque j'ai commencé à travailler pour lui. J'ai dû arrêter lorsque sa femme a découvert qu'il me payait plus qu'il ne le devrait. À cette même époque, je commençais la fac, en informatique et ingénierie des systèmes, un futur prometteur. Je suivais les cours, je travaillais dans quelques garages, dans des bars, dans des supermarchés... J'essayais de dormir, puis je retournais en cours.

Finalement, j'ai eu les yeux plus gros que le ventre. Je n'ai pas réussi à tout cumuler. Le manque de productivité et les absences répétées dans certains de mes petits jobs ont fini par me rattraper. Licenciements et démissions. Cela fait six mois que j'essaie de retrouver un travail. Les quelques économies que j'avais ne suffisent plus. Mais est-ce que mon manque d'argent doit justifier mon comportement envers mes proches ? Absolument pas. C'est bien la première fois que je réponds aussi sèchement à Scott ou que j'ignore à ce point Mark. Il faut que je me reprenne.

Je me dirige donc vers eux. Ils sont toujours plongés dans une discussion qui semble des plus passionnantes. J'ai à peine le temps d'ouvrir la bouche que je suis interrompu par l'arrivée d'un homme que je n'aurais jamais imaginé voir ici.

Affublé d'un perfecto en cuir brun foncé qui recouvre un t-shirt à col en V, d'un jean qui moule parfaitement ses cuisses musclées et de bottes mal lacées et abîmées, Mikael Marinovitch fait son entrée dans le garage. Ses cheveux sont colorés d'un noir trop profond et ses yeux sont d'un bleu glacé. Mark l'accueille joyeusement. Cet homme, qu'on surnomme Michka en raison de sa carrure imposante, pourrait effectivement rappeler celle d'un ours, même s'il court la rumeur qu'il a un tempérament de nounours. Cet homme m'a toujours impressionné. Toujours l'air serein et avenant, tout en sachant qu'il est redoutable. Redoutable et charmant. Il le sait et en joue, des charmes auxquels je dois avouer ne pas être indifférent. Que ce soit lui ou ses deux acolytes, il y a toujours ce petit quelque chose de dangereux et de très sensuel qui émane d'eux. Une sorte d'attraction magnétique.

Scott fait partie de cette catégorie d'hommes, et bien que je sois obligé de le côtoyer, j'évite en général ce type d'hommes comme la peste.

— Scott.

— Mikael.

Simple, rapide, efficace. Pas de fioritures entre eux. Ni d'animosité, ce qui est surprenant.

— Nick n'est pas avec toi ? 

— Pourquoi, tu veux le voir ? lance-t-il d'un ton malicieux, ce qui lui vaut une tape sur le bras de la part du blond.

Scott a un vaste réseau de connaissances et, vu la rivalité entre Samantha et Marty, il n'est pas rare que leurs "enfants" se croisent régulièrement. Le rire de Mikael s'interrompt soudain lorsqu'il reçoit une tape sur la tête de la part d'un brun, arrivé derrière lui. L'ambiance change du tout au tout, devenant tendue et irrespirable. L'homme qui vient d'entrer dans le garage dégage quelque chose de dangereux, comme un panneau "Attention, chien méchant". Il observe les lieux avec une attention calculatrice, scrutant chaque détail, chaque recoin.

Ses yeux se posent sur moi et ma dégaine. Par souci de rapidité, j'ai remis les mêmes vêtements que la veille. Son regard passe de mes chaussures blanches à mes jambes, pour finir sur mon sweat, avant de plonger dans mes yeux.

Ses yeux sont gris, si clairs qu'on dirait de l'argent. Si beaux et uniques que j'en ai le souffle coupé. Attention, Loki, ce sont des hommes dangereux, ne l'oublie pas. Son inspection se termine sur ma main, qui tient encore la bâche ayant recouvert la moto.

Si son attitude était froide, elle devient soudain furieuse.

— Qu'est-ce que tu fous ? crache-t-il.

Je ne sais pas comment, mais je viens de mettre en rogne Nickolas Yelsky.

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A suivre...

Russian love - NickolasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant