Partie 6 - Loki

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Honte, voilà le sentiment que je ressens. Je n'avais plus fait de crise depuis la fin du lycée. Soit 4 ans sans problème majeur. J'ai vu la culpabilité dans les yeux de Scott, et l'incompréhension dans les yeux des enfants de Sam.

La honte, sentiment que l'on peut régulièrement éprouver au cours de sa vie. Ce sentiment me bouffe littéralement l'existence. Et c'est ce même sentiment que j'éprouve lorsque Mark me dépose chez lui.

Après avoir réussi à me faire retrouver une respiration normale, il a fermé l'atelier malgré mes protestations. Nous avons pris la route dans sa vieille Jaguar. Le vrombissement familier de ce moteur m'a presque endormie. Oubliant qu'en arrivant Chez les Crockwood, j'allais devoir affronter Madame Crockwood. C'est de Marta que vient ce surnom de "chaton". Quand Mark m'a trouvé, elle disait à qui voulait bien l'entendre que son mari avait récupéré un chaton errant.

Elle n'était peut-être pas si loin de la vérité.

Garant son véhicule devant leur petite maison de banlieue, Mark s'allume un cigarette en allant s'asseoir sur les marches de son péron. Comme la nuit où il m'a récupéré, il attend que je me décide à descendre de la voiture. Je pourrais presque croire que nous sommes une nuit glaciale de décembre et que la neige tombe à gros flocons. Mais non, nous sommes en plein milieu d'un samedi doux d'octobre.

De là où je vois Madame Crockwood sortir de chez elle est regarder dans ma direction. Elle discute avec son mari, s'assoit à côté de lui et s'allume à son tour une cigarette. Elle ne me quitte pas du regard. Je n'ai pas connu ma mère, et cette femme n'a pas eu d'enfant, mais elle aurait fait une maman redoutable.

J'attends qu'elle soit rentré dans la maison avant de sortir de la voiture.

À mon tour je m'assois près de Mark, sans un bruit. Il passe un bras autour de mes épaules, me rapproche de lui et me frotte frénétiquement le dos avant de se lever.

– Aller viens.

Dans l'habitation Madame Crockwood est assise dos à moi dans un fauteuil regardant vers l'extérieur. Comme à son habitude elle ne me calcul pas vraiment. Je la salue d'un simple " bonjour Madame", elle me répond simplement par un hochement de tête. On se dit pas grand chose Marta et moi... Surement parce qu'on ne sait pas comment interagir elle et moi. Elle ne m'apprécie pas beaucoup, et je suis bien souvent intimidé par elle.

– Viens m'aider Loki. me demande Mark.

Je sors alors de l'entrée et attrape les assiettes qu'il me tend depuis leur petit vaisselier. Trois assiettes, trois fourchettes, trois couteaux, trois verres. Mettre la table, la débarrasser, la nettoyer, faire la vaisselle, tous les soirs pendant quatre ans ça été mon quotidien. Cette petite table ronde est chère à mes yeux.

Marta attend que les plats soient sur la table avant de venir s'asseoir. En face de moi, comme toujours. Elle sert son mari avant de tendre la main vers moi pour que je lui tende mon assiette. Le repas se fait dans le silence, seulement rythmé par le son des couverts. Le poulet rôtis de Marta, voilà un moment que je n'avais pas eu l'occasion d'y goûter. Servi avec des pommes de terres et des haricots verts, ce repas à quelque chose de nostalgique dans ma mémoire. C'est l'un des premiers plats que j'ai mangés dans cette maison.

Si Mark ne dit rien de tout le repas, je sais qu'on va devoir discuter dans peu de temps. Je ne peux rester ici indéfiniment. Et ce que je redoute fini par arriver, nous débarrassons la table, pendant que Marta prépare du café. C'est une tasse fumante que je me retrouve assis dehors avec Mark sur les marches du péron.

Le début d'après-midi est calme dans le quartier, quelques enfants passent en vélos ou à trottinettes. Leur insouciance me met mal à l'aise.

– Je suis désolé pour tout à l'heure. dis-je.

– Ce n'est pas de ta faute.

Un peu quand même, mais je ne veux pas débattre avec lui là-dessus.

– Comment ça va en ce moment ? me demande-t-il. On ne s'est pas vu depuis un moment.

Un moment, à vrai dire deux mois, c'est pas vraiment ce qu'on peut appeler longtemps.

– Je ne sais pas trop, je crois qu'il faut que je me débrouille un peu par moi même. Et je suis désolé pour hier.

Mark me dit que ce n'est rien, qu'il ne m'en veut pas.

– Tu me fais enfin ta crise d'ado, à moins que ce soit la crise de la vingtaine ? se moque-t-il gentiment.

– À vingt-deux ans , c'est un peu passé, non ?

On n'aborde pas la crise de tout à l'heure ni le fait que je ne l'ai jamais autant entendu crier depuis que je le connais. Hausser le ton oui, mais hurler sur quelqu'un non. Le café noir de Marta m'irite quelque peu la gorge, elle a arrête d'y ajouter du lait à mes 18 ans. Le carré de sucre avait déjà disparu depuis mon seizième anniversaire. Ces petits détails qui sont ce qui nous ancrent dans la réalité. C'est peut-être pour cette raison que Mark m'a emmené chez eux, un endroit familier. À l'époque, après une crise je me mettais dans la chambre qu'ils me prêter. Dans le noir emmitoufler dans le seul objet que j'ai gardé de ma vie d'avant, un plaid rouge un peu usé maintenant. Ce plaid reste bien souvent dans mon lit.

– Je vais te trouver du boulot, je suis pas cent pour cent d'accord, mais tu seras bien traité et bien payé. Et je te promets que ce qui c'est passé avec ton ancien employeur ne se reproduira pas.

– Tu n'as pas à faire ça, je vais trouver une solution. J'aurai jamais du venir te déranger comme je l'ai fait.

– Loki... Tu vas arrêter ça tout de suite, tu es venu me demander de l'aide pas un rein.

Je sais que si je lui avais demandé un organe, il se serait ouvert lui-même le corps pour l'extraire. Il ne veut pas dire quelle est sa situation actuelle mais il sait que la question ne va pas tarder à venir.

Je n'aurai pas le courage de tout lui dire, de lui dire que j'ai abandonné. Il n'y a pas de honte à devenir mécanicien et d'y gagner sa vie, la preuve est assis à côté de moi.

– Tu sais que notre porte est toujours ouverte si tu en as besoin, petit. Dors ici ce soir, d'accord ?

Pour toutes réponses j'hoche la tête, je ne pense pas que me retrouver seul en cette fin de journée soit quelque chose de bénéfique.

Un peu plus tard dans l'après-midi, je me décide à appeler Scott. Il était déjà parti quand j'ai repris conscience de là où je me suis retrouvé. Je ne sais pas à quel moment il a décampé, sûrement avec les deux autres. D'ailleur rien que de repenser à la voix perçante de Nickolas j'ai des frisonnes qui se balade le long de ma colonne vertébrale.

– Pardon Loki, dit-il après avoir décroché.

Et voilà encore des excuses...

– C'est pas grave Scott.

– Si, j'aurais dû être plus calme, mais tu sais que Nick me fait sortir de mes gongs dès que je le vois. Et avec ma défaite d'hier je t'avoue que j'avais tout sauf envie de le voir.

– D'accord.

Je ne cherche pas à argumenter plus que ça, avec lui c'est inutile. Il me raconte tout un tas de choses qui n'ont pas vraiment d'importance. Mais le grave de sa voix m'apaise. 

Russian love - NickolasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant