Chapitre 3 **

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Je ne suis pas une grande friande de gâteaux en général, mais je dois dire que ceux de Marielle sont une tuerie. J'ai croqué dans le premier, sans conviction, dans l'espoir de m'apporter quelques calories pour finir la journée. Le second, c'était de la gourmandise. Ces muffins me confèrent ce double avantage : celui de caler mon estomac en même temps que de me rendre si occupée qu'aucun membre du groupe n'est encore venu me parler.

Tous les mardis et tous les jeudis, le rendez-vous est à vingt heures. Mais c'est la troisième fois que je viens et nous n'avons encore jamais commencé à l'heure.

Marielle dit que ce moment fait partie de la séance. Le partage, parait-il. Pour moi, c'est un instant de flottement, digne d'un temps perdu. Ça m'agace mais je tâche de ne pas le montrer.

Le bol tibétain résonne à nos oreilles, je suis mes compagnons et m'installe sur une des chaises. Celle en face de moi est vide, je sais d'office où je regarderai quand viendra mon tour.

Même si je me vois venir à reculons, même si j'ai l'air de vouloir être partout ailleurs qu'ici, ça n'est pas le cas. Mon envie de m'aider est là. Je crois même que je me sens bien parmi ces gens, pourtant, une petite voix en moi – cynique, qui plus est – s'obstine à vouloir tout critiquer, comme pour me faire renoncer.

Ce groupe de parole n'a rien à voir avec l'idée que je m'en faisais ou même de ce que j'ai pu voir à la télé par exemple. L'animatrice est très positive, les ateliers sont très variés. En rentrant tout à l'heure, j'ai même aperçu une affiche concernant un camp d'été.

Beaucoup d'émotions sont partagées mais j'en ressors toujours avec cette sensation de légèreté.

Je redoute celle d'aujourd'hui car cela pourrait bien être la dernière. Marina m'a demandé de trouver une solution pour Stark, car elle ne pourra pas continuer le dog-sitting sur le long terme.

L'idée d'être à nouveau lâchée ainsi dans la nature m'angoisse. Voici ce qui habite mes pensées quand Marielle me recentre.

— Amélia ? Tu es avec nous ? À quoi pensais-tu ?

— Que je ne pourrais peut-être plus revenir après aujourd'hui.

— Ah ? Voudrais-tu nous exprimer pourquoi ? demande-t-elle avec la douceur qu'on lui connaît.

J'hésite. Tous ces regards sur moi. Ils vont me juger, c'est certain, ma raison sonne comme une fausse excuse, même à mes oreilles.

— Et bien, la personne qui garde mon chien va devoir arrêter, je crois.

— Oh ? Ce n'est que cela ? se rassure Marielle en soupirant. Vous faites comme vous pouvez, mais nous ici, nous adorons les animaux. Ulrick, qui reviendra courant juin, amène parfois son chien aussi et ça n'est pas un problème.

Je ne peux m'empêcher de sourire. Le soulagement que je ressens me donnerait presque envie de pleurer, mais je me retiens.

— Et maintenant que le tourment du toutou s'est effacé, je pense que c'est le moment de partager un peu. Comme tous les jeudis, faisons un tour des événements. Tu veux commencer ?

Qu'ai-je fait qui puisse être considéré comme une avancée cette semaine ? J'ai retenu mon sanglot quand le nouveau conseiller bancaire au téléphone m'a indiqué qu'il s'appelait Fabien. Ça compte ? Ah, si. Depuis lundi, le bail de l'appartement n'est plus qu'à mon seul nom. Fabien ne figure plus sur les documents.


L'appartement. Pour mon vingt-septième anniversaire, il m'avait emmenée au restaurant chinois. Il détestait ça, mais n'avait pensé qu'à me faire plaisir. Je le revois galérer avec les baguettes et finir par les lancer dans son assiette.

—Mais comment tu fais pour utiliser ses machins, râla-t-il saisissant sa fourchette.

Je ne le trouvais pas comme à son habitude. En presque deux ans, le Fabien bougon avait du sortir une ou deux fois, mais jamais sans raison. Et là, je ne parvenais pas à comprendre ce qui le mettait dans cet état ce soir-ci.

— Je... Tu dors chez moi ce soir ? bredouilla-t-il

Il leva son doux regard en attendant ma réponse. Dormir avec lui, j'adorais ça. Le confort, son odeur, ses bras, c'est tout ce dont j'avais besoin, hélas, il habitait loin de chez moi et surtout de mon travail, un bel inconvénient dans mon organisation.

— Non, je peux pas ce soir. Je suis dégoutée, mais demain je dois me lever tôt.

— Je peux plus ...

Cette phrase me terrifia. Plus quoi ? Mon esprit pessimiste avait déjà peur qu'il soit en train de me quitter quand il rectifia sa pensée.

— J'arrive plus à être loin de toi Amélia. Je voudrais vivre avec toi, me réveiller tous les matins à tes côtés !

La douceur de son visage en prononçant ces mots fit fondre mon cœur. Même si une partie de moi savait que c'était une suite logique à notre relation, sa demande me fit un bien fou. Je réalisai à l'instant pourquoi il avait râlé. La hâte, l'appréhension de la demande.

— Moi aussi je veux vivre avec toi, claironné-je avec énergie, brusquant nos voisins de table.

Pudique, il s'excusa d'un signe de tête, mais tout dans son regard trahissait sa joie. Le sourire sur ses lèvres et la caresse appuyée de sa main sur la mienne traduisaient tout ce qu'il ressentait. J'aimais ce que je percevais. Ses yeux, brûlants de son amour et de tout le bien qu'il me souhaitait, irradièrent mon cœur qui ne battait plus que pour lui.

Ce souvenir en écho, je prends une grande respiration avant de partager avec le groupe.

Après LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant