Cette réponse me secoue et manque de me faire avaler ma boisson de travers. Est-ce une pointe de jalousie qui vient me picoter un peu partout ?
Heureusement, personne ne semble perturbé par ma réaction et tous continuent à parler sans se préoccuper de moi. Mon cœur s'est accéléré et le regard insistant d'Ulrik n'arrange rien. J'ai l'impression qu'il me nargue, mais cela signifierait qu'il a perçu le trouble que je ressens en sa présence.
La serveuse, les mains bien chargées, annonce nos plats. Les attentions se portent sur nos assiettes et m'offrent un calme salvateur. L'immense tartiflette de Mariam impressionne tout le monde et Glaçon, qui sautille sous la table, amène un tout autre sujet. Gros débat entre Latifah et Adam : « donner ou non à manger au chien quand nous sommes à table ».
Mon avis étant bien arrêté, hors de question d'y participer, mais je prends plaisir à les écouter.
Stark ne réclame plus depuis longtemps avec moi, car il connaît la réponse, cependant, ce midi, il zone autour de nous, l'air de rien. Au cas où un morceau de jambon cru tombe, sur un malentendu, et atterrisse dans sa bouche par hasard.
À la fin du repas, seuls Adam et Ulrik ont encore le courage de prendre un dessert. L'excellente nourriture savoyarde a ce drôle d'effet sur la plupart des gens : la modération ne semble plus exister quand il s'agit de diots, de fondue ou d'autres spécialités.
Une promenade s'impose.
Tous empruntons le petit sentier qui démarre du parking. Nous ne sommes pas les premiers à en avoir l'idée, puisque le restaurateur à planté un faux panneau qui nomme le chemin : « sentier de la digestion ». L'ambiance est gaie, je suis en compagnie de gens énergiques et chaleureux, me rappelant combien j'avais manqué de tout cela ces derniers temps.
Bon, ils marchent tous super vite, à moins que ça ne soit moi qui sois lente.
Même s'ils restent à portée de voix, et qu'ils ne me distancent que d'une vingtaine de mètres, tout à coup,le poids de la solitude s'abat sur moi. Sans prévenir, une lourdeur et une tristesse s'infiltre dans mes veines, créant un frisson désagréable. Je me fige, témoin de ces sensations, Stark au loin avec son Glaçon, ne se rend compte de rien. Accroupie face à un arbre, feignant de le regarder de plus près, je tache de calmer ma respiration, mais c'est difficile. Mon cœur tape si fort dans ma poitrine, que je pourrais presque l'entendre. Pourquoi maintenant ?
Je sens une main envelopper mon épaule, brisant le sort. C'est Ulrik. L'air soucieux, il scrute mon visage en quête de réponse.
— Ça va ?
— Je ne sais pas... bredouillé-je, me redressant face à lui.
Pour toute réponse, il attrape mes mains et les serre dans les siennes, ancrant son regard dans le mien.
Je joue le jeu, tâchant de ne pas dévier mes yeux des siens. Sa façon de procéder me fait penser à la technique de Marielle, utilisée devant nous avec Pierre autrefois. Si Ulrik s'y prend comme il faut, c'est soit je me calme, soit je fonds en larmes.
Mais alors pourquoi est-ce une toute autre réaction que je subis à l'heure actuelle.Le rose me monte aux joues, j'en suis certaine, mais il ne cille pas.
Mon cœur ne palpite plus pour la même raison, mais il se calme vite quand je me souviens qu'Ulrik a quelqu'un. Je ne suis pas ce genre de fille.— Ça va mieux, bégayé-je, retirant mes mains presque à contre cœur.
— À la bonne heure, sourit-il.
Plus personne sur le sentier. Ils sont sérieux ? Constatant notre abandon, Ulrik me tend sa main, m'invitant à marcher pour rejoindre les autres. Dans un sourire, je décline cette tentation et le précède d'un bon pas, le cœur emmêlé.
Nous retrouvons nos compagnons non loin, assis au bord de l'eau. Stark me fait la fête comme s'il ne m'avait pas vu depuis des jours. Glaçon lui, sautille aux pieds de son maître.
Nous décidons de rebrousser chemin, constatant combien il devient escarpé de l'autre côté. Les randonneurs en tongs, cela va bien cinq minutes.
De retour à nos voitures, nous nous remercions mutuellement pour ce charmant moment et nous donnons rendez-vous ce soir, à la soirée dansante du camp.
Tandis que ma sœur conduit, je reste silencieuse. Au travers de ma vitre, le paysage défile au moins aussi vite que mes idées et mes souvenirs. Passé, présent et même – à ma grande surprise – avenir se mêlent dans des pensées incroyablement bien ficelées.
Lui, et sa gueule d'ange. Je nous revois nous rencontrer, nous aimer, nous amuser, vivre. Me revient ce jour où il est parti, où je ne l'ai revu que dans son cercueil, froid, figé. Ce n'était plus lui. Comment oublier cette cérémonie sans fin et ces larmes intarissables. Puis mon deuil, lourd et sombre, m'emmenant dans un chagrin toujours plus profond.
Tant de chemin a été parcouru grâce à toutes ces mains tendues.
Un sentiment de gratitude m'envahit.
C'est chaud, c'est doux, ça chatouille l'âme. J'ai pleine conscience de chaque signe, chaque acte qui, aussi petits furent-ils parfois, n'étaient qu'un morceau de cœur donné dans le but de panser le mien.
J'ouvre les yeux et, pour la première fois, je pleure pour la beauté du geste.
Pour ce voisin qui chaque matin se proposait de sortir mon chien, pour ma sœur qui passait tous les soirs s'assurer que je mange plus que je ne boive, pour ces heures au téléphone, que mes amies ont usé à m'écouter répéter les choses en boucle, pour le gardien du cimetière qui m'a laissé rentrer avec Stark, osant une grosse entorse au règlement préfectoral.
De lourdes larmes empreintes de reconnaissance roulent sur mes joues, emportant avec elles mes peurs, chassant le pessimisme et laissant la place à autre chose.
Mon esprit fertile m'emmène au présent et à Ulrik. Encore lui.
Dimanche dernier, nous avons été plus proches que je n'avais jamais été avec personne depuis...
La force des mots entre nous, nos confidences et l'évidence de ces échanges m'ont ouvert les yeux sur quelque chose. Qui n'existera peut-être jamais, puisqu'il ne s'intéresse pas à moi.
La connexion de dimanche ne peut pas exister que dans mon cœur. Je n'ai pas pu être la seule à la ressentir, comment serait-il possible ?
Passer du temps avec lui m'a fait du bien, et même si je pourrais sans doute vivre en n'étant que son amie, j'ai envie d'essayer.
Essayer la proximité, le partage et après je verrai.
J'ai conscience que je suis toute cassée à l'intérieur et que je n'ai sans doute pas tout à offrir à un autre... que lui.
Mon esprit va si loin dans ses projections, trop loin et je m'en rends compte dans un sursaut de conscience.
Ma sœur a allumé la radio et fredonne. Je me tourne de son côté, retirant les dernières coulures de mascara d'un revers de main.
— Ça y est ? c'est passé ? me souffle-t-elle.
Sa main se pose sur ma cuisse avec douceur, puis elle la fait claquer avec énergie.
— Allez, Nounouille, on se bouge ou on va faire la sieste ?
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Après Lui
RomanceIl y a plusieurs mois que la vie d'Amélia a explosé. L'amour de sa vie, Fabien, est décédé dans un tragique accident de moto. De lui, il ne reste que de fabuleux souvenirs et son énorme chien, Stark. Le temps passe, mais pour elle rien n'évolue. Ne...