Harassée de fatigue et en proie à toutes sortes de pensées détestables, j'arrive enfin à mon logement. Le clocher sonne six heures du matin quand ma clé tourne dans le verrou. J'ai passé les dernières minutes à marmonner, cherchant des raisons pour en vouloir à Ulrik et toute autre chose qui pourrait me l'ôter de la tête. Car c'est plus fort que moi : chaque pensée me ramène à notre rapprochement, alourdissant inexorablement ma culpabilité. Comme si j'avais trompé Fabien. J'ai la sensation d'avoir fait une connerie.
Stark s'étend dans son panier et je l'envie, même si mon cerveau mouline tellement qu'il me serait impossible de me reposer.
Il ne m'a pas repoussée lui non plus ! Cette pensée m'étire un sourire.
Je me rappelle être inscrite à des ateliers aujourd'hui, et hélas celui de la sieste ne sera pas au programme.
La toute première activité, le yoga, est à sept heures trente du matin, quelle idée !
Au point de rendez-vous, je retrouve Mariam, pimpante, accompagnée de son fils qui lui ne semble pas aussi enthousiaste. Latifah arrive, joyeuse, faisant tinter les perles dans ses tresses à chaque mouvement de tête.
Ensemble, nous franchissons un portillon qui donne accès à une pelouse clôturée.
La professeur arrive et je la reconnais, c'est une des personnes du sympathique groupe d'hier. Elle met de la musique, puis étale son tapis, nous intimant de faire de même.
Un coup d'œil autour de moi me suffit à m'apercevoir que je suis une des seules à n'avoir qu'une serviette à disposer au sol. Je suis vraiment venue en touriste et je fais tache.
Ma voisine possède un tapis de compétition, qu'elle déplie avec dextérité. Ce seul geste respire déjà le zen et la souplesse. En ajustant son legging de marque, elle s'aperçoit que je la dévisage et me sourit. Je la salue à mon tour, tout en faisant claquer l'élastique de mon vieux short.
— Namasté, salue la femme devant nous d'une voix ronde. Nous allons nous recentrer, avant l'arrivée de nos camarades.
À ce signal, les personnes devant moi s'installent sur leurs genoux. Elles laissent vibrer un « Om » que je tâche d'imiter, sans en comprendre l'utilité. La professeur me fait signe de fermer les yeux. Ah ? Yeux fermés, c'est encore pire.
Après quelques gestes qu'elle a défini comme un échauffement – alors qu'ils m'ont déjà crevée – nous accueillons nos fameuses camarades.
Cinq chèvres naines trottinent et prennent leurs aises, déclenchant les réactions de toutes les personnes présentes. Mariam semble ravie, ce qui n'est pas le cas de son fils qui tente d'esquiver chaque approche de ces intruses à cornes. Il finit par se lever et part en pestant sur « les lubies de sa mère ».
—C'est plus de mon âge, mais c'est rigolo ! m'adresse Latifah, assise en tailleur, tachant de ne pas se faire dévorer ses cheveux.
Une jolie biquette tricolore s'intéresse à moi. Tandis que je tente un « chien tête en bas » avec la souplesse d'un cintre, elle hume le creux de mon oreille. Son petit souffle me chatouille et j'use de toute l'énergie possible pour ne pas tomber.
Mon attention est troublée par une silhouette qui longe la barrière. Je sais que c'est lui. Sa taille, sa carrure, son aura. Mon agacement.
Yeux fermés, plus pour l'occulter que par concentration sur mon geste, je ne peux ignorer ce petit quelque-chose dans ma poitrine. Une sorte de boule, cette vibration, ces réactions à sa simple pensée.
La professeur, qui vient corriger ma position, m'aide à l'ignorer. Quand je me redresse, il n'est déjà plus là.
En le cherchant du regard, une petite voix à l'intérieur de moi voudrait encore me rappeler qu'il a été désagréable il y a de cela à peine quelques heures. Mais je ne l'écoute pas.
Son image persiste dans tête, c'est plus fort que moi. Son image et son odeur, qui a dû se transférer sur ma peau, puisque je la sens distinctement sur mon épaule.
En sortant de cet atelier, l'heure est à la légèreté. Mariam est tombée sous le charme des chèvres et voudrait en ramener une comme « souvenir ». Matchant son énergie, Latifah et moi feignons de chercher des stratagèmes pour en glisser une, ni vue ni connue, dans sa voiture. Les idées les plus loufoques naissent dans nos caboches de criminels du dimanche.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas autant ri.
Malgré la sensation d'une journée bien avancée, il n'est même pas dix heures quand Latifah propose une visite sur un marché savoyard dans une commune alentour.
Je passe une belle journée, comme j'en ai connu bien peu ces derniers mois. Ces deux femmes pourraient largement être ma mère, et pourtant, je me sens comme avec deux amies de mon âge. Je perçois l'énergie ressentie quand le deuil ne pèse pas.
Après un marché à l'ancienne, nous avons fini dans les rues de Chambéry à faire du shopping qui lui n'avait rien de local. Cela dit, j'en avais aussi besoin. La joie de vivre, même épisodique, donne envie de couleurs et de changement.
Au détour d'une librairie, Mariam s'offre quelques livres.
Cela fait si longtemps que je ne me suis plus plongée dans la lecture. Ces histoires d'amour sorties d'un chapeau, avec des hommes aussi têtes à claques que les femmes se déchirant pour rien me saoulaient tant, moi qui pleurait celui que j'aimais.
Les glaces dans la grande avenue sont absolument délicieuses. Tôt ou tard, nous regretterons cette montagne de chantilly, ces copeaux de chocolats, mais pour l'instant, « c'est les vacances ! », comme dirait Mariam, dont les bonnes résolutions n'auront tenu que quelques jours.
Loin des « avec ceci » et des « je peux vous conseiller ? », je profite de mes congés tant mérités.
Nous finissons notre escapade dans un petit restaurant sur une place.
À notre retour, mon moral est au plus haut, j'ai mangé de la glace pour les six prochains mois et ai définitivement besoin d'une autre valise pour ranger tout ce que j'ai acheté, mais quelle journée !
Je suis accueillie par un toutou pressé de sortir, il fallait s'y attendre. Je lance mes sacs sur le lit avant de partir avec Stark.
Mes pas m'emmènent sur la même partie de la berge qu'hier soir. Et je me surprends à guetter une présence.
Personne.
Imbécile.
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Après Lui
RomanceIl y a plusieurs mois que la vie d'Amélia a explosé. L'amour de sa vie, Fabien, est décédé dans un tragique accident de moto. De lui, il ne reste que de fabuleux souvenirs et son énorme chien, Stark. Le temps passe, mais pour elle rien n'évolue. Ne...