Chapitre 17 *

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En repassant dans le couloir, je réalise qu'Ulrik a oublié sa veste chez moi. Tombée au sol, il ne s'en est pas aperçu et ça n'est pas la tiédeur de cette soirée qui va le rappeler à l'ordre.

En la soulevant pour la défroisser, je constate qu'elle pèse son poids et pour cause : dans ses poches se trouvent son téléphone et ses clés.

En moins de cinq minutes, je suis rhabillée et nous partons Stark et moi, rejoindre la tête en l'air qui me sert de mec.

Dans l'escalier, impossible de savoir qui de mon chien ou moi est le plus guilleret.

D'un bon pas, suivant les possibles rues utilisées par Ulrik, je guette sa silhouette au loin. Mais je ne le vois pas.

Il ne reste plus qu'à retourner dans mon quartier et y errer pour le trouver quand il reviendra sur ses pas.

La place en bas de chez moi est déserte, et je m'accorde une souplesse en détachant Stark pour qu'il s'ébroue un peu.

Le calme des rues est troublé par quelques sons d'accélérations de voitures, ainsi que celui du feu piéton destiné aux non-voyants détraqué depuis le printemps, qui tinte à intervalle régulier. Ces bruits de la ville la nuit font partie de ce décor familier, je ne les entends plus vraiment, c'est pourquoi le vrombissement de la moto juste à côté de nous me fige d'un coup.

Moi, jeune femme de petit gabarit, seule sur une place vide à deux heures du matin, tous les éléments sont déjà réunis pour que mon instinct de survie se mettent en place. Mais quand je reconnais le motard, mon sang ne fait qu'un tour.

Bordel qu'est-ce que Tony fait ici ?

Mon corps entier se tend, resserrant mon cœur qui s'accélère déjà. Sans un mot, il retire son casque et dévoile son regard noir accentué par des sourcils froncés. Tout son visage me vomit sa haine.

Sans me lâcher du regard, il fait quelques pas dans ma direction. Je ne suis pas rassurée mais je ne me sens pas piégée comme l'autre fois, au camp. Autour de nous, des dizaines d'habitations, Stark est avec moi, les conditions sont différentes. Cette fois-ci, je peux élever ma voix.

— Remonte sur ta moto et va-t'en ! T'as un putain de culot de t'être arrêté ! vociféré-je.

Je le regarde passer sa main sur son visage, dans un geste délibérément exagéré, me signifiant sa colère contenue. Son corps me menace, mais sa bouche se tait. Quel manipulateur.

Stark, naïf et innocent toutou, s'approche de lui pour le saluer, mais Tony, d'un geste violent, le fait reculer. C'est à ce moment que je me rends compte : Tony est ivre, et plus que de raison.

— J'avais une copine, bordel ! m'invective-t-il. À cause de toi et de cet enculé de Majid, elle m'a largué comme une grosse merde !

Que tu es...

Son hurlement est un atout pour moi dans cette situation, alors je ne réagis pas. Qu'il ameute lui-même des témoins, voire la police m'arrange.

Je commence à faire quelques pas loin de lui, mais il me suit.

— C'est toi qui m'a allumé ! ajoute-t-il toujours sur le même ton. Et au dernier moment t'as fait ta prude !

Mon orgueil voudrait tant lui répondre, me défendre. Rétablir la vérité. Mais aux yeux de qui ? La vérité, je la connais et je n'ai pas besoin d'en convaincre les autres. Malgré tout, marcher en subissant dans mon dos les saloperies crachées de Tony est un moment très désagréable.

— Toute la semaine, j'ai fait le détour ici pour... Oh, tu vas me regarder, sale pute ! crache-t-il d'un coup.

Le couinement de Stark qui suit est sans équivoque, Tony vient de lui mettre un coup de pied. Dans un film, mon molosse de cinquante kilos se serait retourné pour se défendre, mais dans la vraie vie, des mois d'éducation canine font qu'il se contient, perdu quelque part entre son instinct et son « dressage », réfugié contre ma jambe.

Je me retourne et fais face à Tony, que puis-je faire d'autre de toute façon. Et c'est de manière tout à fait réfléchie que je parle fort pour m'adresser à lui.

— Alors tu coinces une femme sans défense, tu tapes un chien à qui on interdit de réagir ! Quel courage. C'est quoi la prochaine étape ? Tony, t'es rien qu'un faible !

Trop tard, c'était peut-être imprudent d'aller si loin, mais je me sens forte. Cela dit, quand Tony fait les derniers pas qui nous séparent encore, le menant à quelques centimètres de moi, une once de regret pointe quand même dans ma tête. Stark panique et grogne. Si en temps normal je ferais tout pour le faire taire, en cet instant, je prierais même pour qu'il aboie.

Relever la tête pour soutenir le regard de Tony est compliqué, le souffle court, je peine déjà à respirer correctement. Ses relents d'alcool s'ajoutent à mon malaise, déjà pesant.

— Et ton petit Ulk, là ? Il est où ? Le Roméo des vacances s'est déjà barré ? Ça m'étonnerais pas...

Tony interrompt son discours de soulard. En un coup d'œil derrière lui, il a compris pourquoi mon visage s'est détendu. Ulrik arrive et de là où il se trouve, j'ai la certitude qu'il a déjà compris ce qui se passe.

— Ah, mais le voilà lui ! J'ai été mauvaise langue, reprend-il pinçant ses lèvres, c'est vrai que ton petit cul donne envie d'y retourner !

Mon regard rivé sur Ulrik, dont la démarche s'est accélérée, je lui crie :

— Ulrik. Bouge pas, je t'en supplie. N'entre pas dans son jeu !

Tony s'est avancé et à présent, je suis obligée de mettre toutes mes forces dans ma main qui retient le collier de Stark. Grognant et menaçant, il tire dans la direction de Tony.

— Ton chien me touche et je ferais tout pour qu'il crève ! éructe-t-il.

À ces mots, je me précipite contre Ulrik, venu à ma rencontre. Je suis dans un sale état. La tension est à son maximum et l'état d'ébriété de Tony lui fait répéter ses menaces en boucle. Je n'ai qu'une hâte, qu'il se lasse et s'en aille, une bonne fois pour toutes. Ulrik me serre contre lui, mais cet apaisement ne suffit pas à me soulager. Sa main tendue dans mon dos est néanmoins un soutien quand Tony choisit le chemin de la facilité en me hurlant que dans les bras de cet homme je trahis Fabien. Cette pique, infondée et gratuite, ne m'atteint pas, protégée par mon bouclier affectif géant et tatoué.

Après LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant