Chapitre 13 *

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Au réveil, je sais que mes rêves furent compliqués et agités pourtant je ne parviens pas à m'en souvenir en détail. Mon cœur tambourine dans ma poitrine et j'ai très chaud.

Je suis dans mon lit, seule.

Vite, la réalité me frappe et je repense à cette nuit.

Quand mes jambes frottent les draps, un mouvement s'anime à mes pieds, me figeant de stupeur, avant d'entendre couiner. Mais c'est la toute petite langue chaude de Glaçon qui s'active sur ma joue.

La porte grince, poussée par Ulrik qui entre, deux tasses en main. La honte me saisit, je ne sais même pas pourquoi.

— Ha, il est là, lui ! Je sais pas qui de mon chien ou moi a pris le plus ses aises chez toi, plaisante-t-il. Je t'ai fait du café, avec ton café !

Une impression de déjà-vu m'envahit. « Ça fait beaucoup de café, non ? » Non, cette phrase n'appartient qu'à Fabien et moi, je la tais donc.

— Et bien, ton chien vient de me lécher le visage, donc c'est assurément lui, lancé-je spontanément.

Ulrik éclate de rire. Tranquillement, il s'assoit au pied du lit et me tend un mug fumant.

— Double, un sucre et un peu de lait, énonce-t-il.

Surprise qu'il connaisse aussi bien mes goûts en matière de café, je le scrute, interdite.

— C'est comme ça que tu l'as commandé au restaurant, ajoute-t-il comme s'il lisait dans mes pensées.

Je me délecte de cet arabica, le même depuis cinq ans. Cet excellent café, d'un café que connaissait Fabien... Je n'ai jamais pu acheter mon café ailleurs que dans cette fameuse boutique et chaque gorgée étire un peu plus mon sourire.

— J'avais pas envie de te laisser, explique Ulrik, je t'ai portée jusqu'à ton lit et j'ai dormi sur le canapé, tu m'en veux pas ?

— Pas du tout.

— Comment te sens-tu ?

— Entre deux mondes, et toi ?

— Ça ira.

Un œil sur mon portable et je constate qu'il est bientôt dix heures. J'ai raté ma séance de yoga avec les chèvres et je me sens dépassée par les événements. Dans un soupir, j'empêche mes larmes de couler. Ça aurait pu être tellement pire.

— Tu veux en parler ?

— De ?

— Du motard. Hier, avant que tu ne t'endormes, nous avons parlé de tout sauf de... Mais il va bien falloir, Amélia.

— Je sais. S'il te plait, laisse moi encore dix minutes d'innocence. Le temps de finir mon mug.

— Ok, comme tu voudras, abdique-t-il. Alors dans un autre registre, ce matin j'ai sorti Stark. Ben, j'étais pas prêt !

La mimique qu'il m'adresse est à la fois drôle et adorable, j'hésite entre fondre sur place et m'esclaffer. Je l'imagine, promener les deux chiens. Lui, qui a l'habitude de son avorton de quatre kilos au maximum, a dû bien endurer la différence. J'aurais voulu être une petite souris pour voir ça.

Soudain, cette image d'abord humoristique se teinte de douceur, d'un message. J'aime ce que j'entrevois. Cette complicité me convient. L'avoir dans mon paysage m'insuffle quelque chose de fort et de beau. Et à Stark aussi. Il apprécie autant que moi passer des moments avec Ulrik et Glaçon. Ce duo nous fait du bien.

Une heure plus tard, nous prenons ma voiture. Durant le trajet, mon regard dévie sur mon passager et je ne peux m'empêcher de pouffer. Me revient le rêve que j'avais fait avec cette étrange sensation de réalisation, sauf que dans cette version Ulrik est habillé et coiffé. En réalité, je perçois vite que je fais tout pour ne pas penser à l'impensable d'hier soir. Spectatrice de ma propre sidération.

En coupant le moteur sur le parking de la gendarmerie, me voici incapable de bouger. Ça y est, nous y sommes. Ça va être réel. Je n'en ai pas envie, mais je dois le faire. J'ignore si ma tête est trop pleine ou complètement vide, je suis bloquée entre deux états. Il serait tellement facile de faire demi-tour, d'oublier. Une force en moi le refuse. Pour l'exemple. Pour le respect de la femme que je suis.

Dans une salle d'attente laide et froide, agrémentée ça et là d'affiches aux sujets tous plus glauques les uns que les autres, nous patientons. Ulrik a l'air si sûr de lui. Je le scrute, animée par mille pensées. Mon manège ne passe pas inaperçu et assez vite, il lie son regard au mien tout en prenant ma main. Ce contact réchauffe mon cœur et son tendre sourire me ramène au calme.

La suite est rocambolesque et décevante. J'assiste à un piètre spectacle, celui de la justice.

Je suis reçue dans une salle encore pire que l'autre, par un homme d'une cinquantaine d'années qui porte toute sa lassitude sur son visage. Il refuse la présence d'Ulrik.

— Vous n'êtes ni son mari ni son avocat, patientez, récite-t-il d'un ton monocorde avant de fermer la porte entre nous.

Seule, voici que tout le poids du monde me tombe dessus. Ma voix résonne dans cette pièce et c'est comme si, d'un coup, je devenais de plus en plus minuscule.

Je commence mon récit, expliquant qui je suis, et qui est Tony. Pourquoi je me suis retrouvée seule avec lui et ce qu'il a voulu me faire... et mon sauveur. Pendant que je parle, l'homme pianote sur son clavier, impassible.

Le seul regard qu'il m'accorde est lourd et plein de jugement quand il ose cette odieuse question :

— Comment étiez-vous habillée ?

Comme si cela comptait.

Je réponds bêtement. Que puis-je faire d'autre ?

Une de ses collègues entre sans frapper, me salue avant d'adresser une taquinerie à l'homme. Pendant quelques secondes, ils échangent comme si je n'étais pas là. La varicelle de l'aîné, la réunion du soir, je reçois des informations dont je n'ai que faire et qui embrouillent un peu plus mon esprit.

La femme lorgne l'écran de l'ordinateur par dessus l'épaule de son collègue. Une moue me rappelant celle de Marina m'amène à croire qu'elle réfléchit à ma situation.

Je continue à répondre aux questions, même si elles sont répétitives.

Derrière la porte, dans le couloir, se trouve un ami qui saura m'écouter. Aussi, qu'eux ne le fasse pas n'est pas si grave. J'imagine en revanche combien cela pourrait être dur pour une personne seule.

La question « Avez-vous eu un mot ou un comportement qui aurait pu être mal interprété ? » et toutes ses variantes a de quoi mettre en doute nos propres perceptions des événements.

Si je résume : mon short, mes rires, mes paroles pourraient-ils en être la cause ? Pauvre Tony alors...

Soudain, la femme chuchote quelques mots à l'oreille de l'homme et celui-ci quitte la pièce. Durant un court instant, elle relit les notes de son collègue. Puis, s'approchant du bureau, elle réduit la distance entre nous.

— Je ne devrais pas vous dire ça, mais je vois trop souvent le cas, chuchote-t-elle, Attention si vous impliquez la personne qui vous a défendu.

Surprise et choquée, je me raidis sur ma chaise. Je ne comprends pas.

— Moi, je vous crois, je suis désolée de ce qui s'est passé, mais dans le cadre légal, ça sera sa parole contre la vôtre. L'enquête va prendre du temps parce qu'il n'y a rien dans ce dossier. Et le seul témoin est aussi celui qui a porté des coups le premier. Si votre agresseur venait à porter plainte, votre ami pourrait avoir de sacrés ennuis.

Je réalise ce qu'elle insinue et suis stupéfaite. Dans le secret de ce bureau, la solidarité féminine, incarnée par cette gendarme qui de toute évidence outrepasse ses fonctions en me conseillant, se met en place. Je bois ses paroles et en comprend toutes les subtilités.

— Plusieurs choses peuvent arrêter un agresseur : la loi, et quand la loi ne peut rien, il y a aussi le fait de briser le silence. Il a fait ça en catimini, il y a des chances qu'il le fasse à chaque fois. Ce type de personne utilise son charisme et sa réputation comme bouclier. Alors parlez. Ne taisez pas...

Le gendarme revient avec un café, interrompant notre échange. De l'autre côté de la porte qu'il referme derrière lui, j'ai le temps d'apercevoir Ulrik et le sourire merveilleux qu'il m'adresse, lourd de sens et de soutien.

Ma décision est prise, je ne signerai pas la plainte.

Après LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant