Épilogue

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— Amélia ? Peux-tu ajouter quatre chaises au cercle de parole, s'il te plait ? J'avais oublié de te dire, mais ils seront douze ce soir !

La voix de Marielle résonne dans l'entrée et je manque d'avaler de travers le mini-muffin que je lui ai chapardé trois minutes plus tôt. Ces gâteaux sont toujours réconfortants et encore plus ce soir, car un petit stress m'habite.

Le même lieu, presque les mêmes participants à la différence que ce soir, je ne suis plus une assistante. Pour la première fois, je vais mener mon propre atelier.

Dans un bruit de tous les diables, je traîne les chaises manquantes au sol, à défaut de les porter, parce qu'enceinte de sept mois c'est un effort que je ne peux plus me permettre.

La poitrine serrée et le souffle un peu court, je lorgne l'horloge murale pour constater qu'il ne me reste que vingt minutes avant de commencer. Tout est prêt.

Et moi ?

— Ça va aller tu verras ! m'assure Marielle tapotant mon épaule en me frôlant. Tu es passée par là, et puis tu m'as vu faire cent fois.  Tu es prête ! Je ne fais jamais confiance à la légère, tout se passera bien.

— Mais si je pleure comme l'autre fois ? Le témoignage de Thomas était si fort... Je me demande parfois si je ne suis pas trop sensible pour ça.

— Erreur ! C'est justement parce que tu ressens leurs émotions que tu peux leur être utile. Avec le temps et l'expérience, tu verras que tu ne pleureras plus qu'à l'intérieur, c'est tout ! Et ne t'inquiète pas, je serai au fond de la salle, je t'abandonnes pas non plus.

Marielle trouve toujours les mots justes. Et mon esprit fait le reste. Le sms d'encouragement de mon amour ajoute du baume à mon cœur. Je prends le temps de rédiger une réponse, sourire aux lèvres, tandis que les premiers participants du soir s'installent. 

Je les connais presque tous. Une des chaises reste libre, mais il est l'heure de commencer.

— Bonsoir à tous, la plupart d'entre vous me connaissent, mais pour les trois nouveaux arrivants je me présente : Je m'appelle Amélia, je fais partie de l'association «Sans Eux » depuis cinq ans. D'abord adhérente, comme vous. Et puis, j'ai voulu aider tous ceux qui vivent ce par quoi je suis passée, alors j'ai rejoint l'équipe de Marielle. Mon mari Ulrik et moi-même nous partageons les ateliers des jeudis et des mardis.

Alors que je m'apprête à lancer le tour des événements du jeudi, le grincement de la porte attire mon attention. Une jeune femme s'engouffre dans la pièce, et se fige, ne s'attendant sans doute pas à voir autant de monde. Je l'invite à s'asseoir sur la chaise qui n'attendait qu'elle.

Tandis que le cercle se forme et que le premier participant s'exprime, je ne peux m'empêcher de scruter cette nouvelle arrivée. D'une beauté blafarde, elle siège, le dos rond et les mains gigotantes sur ses genoux. Ses yeux expriment à la fois tout le désespoir du monde et un immense vide. Mon cœur papillonne et mon esprit se raccroche à mon amour. Celui qui m'a acceptée avec mes lourds bagages, sans jamais les renier. Ulrik est celui qui partage ma vie, il est celui qui l'a transformée.. Nos peines nous ont rapproché, mais avant lui, j'étais comme elle.

Je me reconcentre car son tour arrive et la jeune femme se présente avec plus de facilité que je ne l'aurais cru:

— Bonjour, je m'appelle Ambre, baragouine-t-elle, je suis ici parce que j'ai perdu Enzo... Un accident de moto.

Accident de moto. Cette simple phrase me raccroche à mon passé. Je me revois il y a cinq ans, le jour de mon arrivée. J'avais peur. Je n'avais aucune envie de mesurer ma peine à celle — que j'imaginais insignifiante — des autres. Qui aurait pu souffrir autant que moi ?

Et bien tout le monde. Mais ça , je l'ignorais. Je pensais que personne ne pourrait rien pour moi.

Quand on perd l'amour, que cela soit sa famille, un ami ou l'homme de sa vie, c'est un monde entier qui s'écroule. Sous les décombres, on perçoit à peine les mains tendues. Dans le noir, elles peuvent même être perçues comme des ombres terrifiantes dont il faudrait s'éloigner. La souffrance devient alors une amie, une compagne nourricière. Elle injecte dans notre esprit un poison qui nous rend dépendant. Surmonter un deuil, c'est un peu comme vaincre une addiction. Ça ne disparaît jamais complètement, nous sommes simplement devenus assez forts pour résister. Surmonter un deuil, c'est se réconcilier avec soi et avec celui qui est parti. C'est vivre en harmonie avec cette version de notre futur sans l'autre.

Mais c'est une décision que nous seul pouvons prendre.

Tandis qu'elle s'effondre sur sa chaise, sous des applaudissements plutôt timides, Marielle s'accroupit à ses côtés pour la réconforter.

Je ne peux m'empêcher de me sentir émue, moi aussi.

Comme elle doit se sentir seule. Que la vie doit lui paraître pesante.

Je voudrais tant lui dire que je me vois en elle et que je sais ce qu'elle ressent. Que ça va être dur, mais qu'elle trouvera la force au fond d'elle pour que, tôt ou tard, le soleil revienne dans sa vie. Ce chemin, c'est à elle de le trouver, je ne peux que la guider, si elle le veut bien. Je voudrais lui promettre qu'un jour, les mains tendues ne lui feront rien d'autre que du bien, et qu'elle saura elle aussi retrouver le bonheur, après Lui.

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Fin

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« Merci de m'avoir suivie dans la création de ce roman. Je l'ai commencé le 7 avril 2024. 

J'ai eu beaucoup de doutes, j'ai eu parfois besoin de pauses pour ajuster mes idées, mais j'ai réussi à aller où je souhaitais. Encore une histoire d'une femme forte, qui nous montre son combat et sa victoire. Encore une histoire qui ne glorifiera pas les hommes aux comportements toxiques.

Merci de votre fidélité, de votre soutien, de vos commentaires.

N'hésitez pas à laisser un avis/review afin d'inciter d'autres lectrices à découvrir mon récit.

À bientôt pour une autre histoire :)

É-Stèle

De l'inspiration jusqu'à expiration ! »

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