Chapitre 9 **

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« Moi, la sieste ? Jamais. » est la dernière phrase que je me rappelle avoir prononcé avant de m'endormir à côté de ma sœur.
Elle se réveille en riant de moi et ce sommeil m'a mise de si douce humeur que je pouffe avec elle.

Stark arrive, précédé du bruit de ses énormes pattes sur les lattes de bois. Il semble presque perturbé de voir Marina dans mon lit.

Ce soir, un bal est organisé sur la plage. Rituel du camp pour dire au revoir à ceux qui repartent le lendemain.

Les basses des essais de la sono font déjà trembler les murs. Nous serons de la partie, après tout, c'est aussi son soir puisque ma sœur s'en va demain.

Nous nous préparons dans une belle euphorie, et je profite de la présence de ma sœur pour me faire coiffer. Petite, je lui enviais ses cheveux bouclés, hérités de notre mère, autant qu'elle m'enviait ma chevelure raide et nous trouvions le monde tellement injuste. Depuis, chacune a appris à s'accepter, et c'est tant mieux.

Elle attache mes cheveux dans une tresse sur le côté. Très baba cool, de quoi se fondre dans le décor de ce soir.

Je n'ai hélas aucun talent en coiffure pour rendre la pareille à Marina et elle le sait, toutefois, ma proposition d'un bandeau fabriqué avec un foulard semble lui convenir.

Mains en l'air, perdues dans sa magnifique tignasse. Ma sœur s'affaire. J'admire sa dextérité, pour elle tout semble si facile. À l'image de toute sa vie.

Je constate avec dépit qu'elle est la perfection et moi la personnification de la loose.

Sa vie est extraordinaire, et elle réussit tout ce qu'elle entreprend. Sa maison est digne d'un catalogue et c'est elle qui l'a décorée. Sa famille est un rêve éveillé. Elle est gaie, elle fait rire, elle pétille à chaque instant. Une simple tresse devient une confection sous ses doigts. Tout ce qu'elle touche, tous ceux qu'elle côtoie brillent à son contact.

Pas moi, visiblement. Elle est de dix ans mon aînée, pourtant je pourrais passer pour sa grande sœur. À côté d'elle, je me sens vide de sens, dénuée du moindre charme, nulle.

Le deuil m'avait rendue grise et transparente. Même si le retour de ma joie de vivre me ramène peu à peu à ce que je suis vraiment, c'est long et en attendant, cette comparaison peu flatteuse me plombe le moral.

— Tu veux ma photo ? plaisante ma sœur.

— Pour compléter un album de singes, pourquoi pas !

Marina explose de rire. Cette vanne d'un autre temps, c'est elle qui me l'avait apprise quand j'avais environ 8 ans. Ça faisait une éternité que je ne lui avais pas sortie.

— Non, je t'admire, c'est tout, reprends-je. J'aimerais avoir ta vie.

Je constate son regard étonné. De toute évidence, elle ne s'attendait pas à cela.

Dans cette pièce exiguë qui sert de salle de bain, seule avec elle, je déballe mes lourdes idées noires. Devant elle, je n'ai pas peur de lui dévoiler, sans filtre, toute ma jalousie. Le regard bienveillant qu'elle garde pendant mon explication me fait un bien fou. Mais d'un coup, ses yeux brillants, témoins de ces larmes qu'elle retient, m'indiquent qu'il est temps de m'arrêter. Elle accueille mes mots, mais mon ressenti ne doit pas se transformer en reproches non plus. Nous continuons de nous scruter l'une et l'autre, sans un mot.

— Tu vas rien dire ?

— Que voudrais-tu que je te dise ? répond-elle, essuyant les larmes sur ses joues. Que tu as tort ? Tu as tort !

Devant mon air sceptique, elle continue.

— Depuis deux ans, je marche sur des œufs avec toi. Ce que tu as vécu est tellement horrible et inconcevable que tout le reste à côté passe à la trappe. Mais des couilles, il m'en arrive plein. La vie n'est rose pour personne. C'est l'idée que tu t'en fais Amélia !

Sa respiration s'est accélérée. Ses émotions débordent, je le vois bien. Elle tâche de rester gentille, mais j'ai déclenché un tsunami de non-dits qu'elle peine désormais à canaliser.

— Tu avais tant besoin de nous et qu'on soit forte ! On pouvait pas t'ajouter de la peine parce que t'etais déjà à terre ! Ma sœur, en deuil, à 28 ans ! Quel intérêt de te parler de mes deux fausses couches, de belle maman qui me casse les pieds ou de mon sentiment de vieillir qui m'angoisse ?

— Je ne savais pas tout ça.

— Ben oui, tu savais pas ! Et tu vois, ma vie parfaite d'un coup prend une toute autre tournure, hein ? Et ça ne m'empêche pas de me relever. Et tu vas faire pareil, et tu vas réussir ! T'es là, t'es en vie !

Un sanglot m'étrangle tandis que je comprends le sens de ces mots. À prendre sans donner, à me focaliser sur ma petite personne, je réalise seulement maintenant combien j'ai négligé ceux que j'aime. Oui j'en avais besoin, mais cette vue panoramique de la situation me fait me sentir coupable.

— Je suis désolée ...

— Ah non, cette fois çi, ça marchera pas ! Y'a pas à être désolée parce que cette situation, JE l'ai choisie. J'ai choisi de ne rien te dire pour te préserver. Et maintenant, si tu veux faire quelque chose pour moi : je voudrais que tu te bouges.

— Je me bouge ?

— Oui, tu es prête pour avancer, et depuis quelque temps déjà. Je réalise à l'instant que la seule chose qui te manque, c'est un sacré coup de pied au cul ! On changera pas le passé Amélia. Alors, fait ce qu'il faut !

Elle se plante devant moi et soutiens mon regard :

— Allez ! Alors, tu vas faire quoi ?

Soufflée par sa réponse, je reste sidérée. Si cela venait d'une autre personne, je serais partie, ou peut-être même que je me serais fâchée. Mais ma sœur a toujours eu cet effet sur moi : la clé de la compréhension. Ce qu'elle vient de dire était une évidence absolue, cachée dans un brouillard qu'elle dissipe en quelques mots. Dans mon esprit, d'un coup, c'est l'effervescence, la machine est lancée.

— Je vais déménager ! claironné-je, matchant son énergie.

— Voila ! encourage-t-elle.

— Je vais reprendre mes cours de peinture !

— Ça c'est ma championne !

Telle la combattante devant le ring, j'annonce ces idées qui se dévoilent en moi, comme des défis que je me lance. Ma sœur accueille mes projets avec encouragements et une joie un chouia surjoués, mais ça me dynamise.

— Et ce soir, je vais inviter Ulrick à sortir avec moi ! scandé-je avant de me taire d'un coup.

Après LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant