Chapitre 10 **

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Je cours aussi vite qu'il m'est possible avec des sandales sur un chemin de gravier et à moitié dans le noir. J'échappe mon trousseau plusieurs fois avant de réussir à entrer et de claquer la porte derrière moi. C'est ridicule.

Essoufflée et en proie à des émotions qui me submergent, je ne sais pas quoi faire.

À quoi m'attendais-je ? Je ne sais même pas. Il aurait été si facile qu'Ulrik fasse ces premiers pas que je n'ose plus faire.

Avant, j'aurai agi comme Marielle. Avant j'avais confiance en moi.

J'ai envie de pleurer, perdue dans ce mélange de honte, de désespoir et de cœur brisé. Une petite voix me répète que c'est bien fait, que ça m'apprendra à passer à autre chose.

Ravalant mes larmes, je me saisis de mon téléphone pour prévenir ma sœur de mon retour au logement. Dans mon sms, je lui parle de fatigue, rien d'autre. Le but étant de lui permettre de profiter de la soirée sans se préoccuper de moi.

Une notification me fait croire à sa réponse. Ce n'est pas elle, mais Valentin. Il m'informe qu'ils seront de ce côté-ci du lac, vers vingt heures demain soir, et que nous pourrons nous voir si je suis toujours disponible.

J'avais presque oublié que je les avais croisés.

En temps normal, mon cœur refuserait.

Après tout, j'ai vécu et avancé sans eux depuis que Fabien est mort. Ils ne sont rien pour moi, je n'ai aucune raison d'accepter. Et tout à l'heure si j'ai dit oui, c'était par pure politesse, otage d'une convention sociale : Que pouvais-je répondre d'autre, devant eux ?

Mais ce soir, mon cœur, déjà malmené, n'aura pas son mot à dire. Non, ce sont mon orgueil et ma fierté mal placée qui prennent le relais. Surtout quand je repense au râteau monumental que j'aurais pu prendre si j'avais ouvert mon cœur ce soir.

Je me vois alors rédiger ce sms, leur donnant rendez-vous directement au camp.

Hors de question que je monte sur un de leurs engins meurtriers, nous serons mieux ici, sur la terre ferme, à pied.

Leur réponse ne se fait pas attendre. Le rendez-vous est pris.

En reposant mon téléphone, je me sens presque mieux. La perspective de ne pas me retrouver seule demain, après le départ de ma sœur, me console un peu.

Assise sur la banquette du salon, la tête pleine, je tâche de rassembler mes idées. Revoir la bande ne me fait pas peur, pourtant j'appréhende ma réaction dans ce contexte si familier, sans Fabien.

Stark pose sa tête sur mes genoux et sa présence à mes côtés calme mon stress.

— Une balade, rien que toi et moi ? lui lancé-je en tapotant son poitrail.

Quand nous sortons, dans la nuit, le bruit de la musique au loin couvre tout le reste. Nous prenons un chemin différent, en direction de l'allée principale afin de s'éloigner du brouhaha, espérant retrouver le son mélodieux des grenouilles et des grillons que j'ai pris l'habitude d'écouter le soir depuis une semaine.

Seule avec mon chien, comme cela fait du bien de se ressourcer un peu. La sérénité est de courte durée lorsqu'au détour d'une yourte, j'aperçois furtivement Marielle s'engouffrer dans la sienne, précédée d'un individu, que je n'ai pas le temps d'identifier. Pas besoin de posséder un diplôme de détective pour savoir qui cela peut être. Une partie de moi voudrait en avoir le cœur net, mais trop tard, la porte se ferme derrière eux au moment où je passe. Un haut le cœur me saisit lorsque je l'entends glousser, imaginant aisément ce qui pourrait déclencher ce genre de réaction. De drôles d'images s'insinuent dans mes pensées, c'est plus fort que moi. On dirait que j'aime me faire du mal.

Déterminée à ne pas me laisser couler, je décide de combattre mes idées noires pour une fois. Je suis dans un lieu superbe. Marina est ici. Je suis forte, et même si j'ai mal pour le moment, je vais me relever, encore. D'un pas pressé, je rejoins la plage pour y retrouver ma sœur et ses gais amis d'un soir.

Nous ne tardons pas à rentrer nous coucher et je n'ose pas lui en parler.

J'ai honte. À peine je commence à sortir de ma peine que je trouve le moyen de m'en rajouter. Je me comporte comme ces mouches que nous croisons l'été parfois, piégées dans la piscine. Nous les sortons avec difficulté et dès qu'elles se trouvent sur le rebord, une fois sur deux elles paniquent et retombent dans l'eau.

Voilà ce que je suis, en fin de compte, une insignifiante mouche qui patauge.

Jetant un œil à Marina, je me satisfais que son état d'ébriété la rende bavarde sur autre chose que mes déboires. Pour une fois, je les garderais pour moi.

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Au réveil, Marina se plaint d'un fort mal de tête que même un café serré ne semble pas apaiser. Tandis que je suis attablée sur la terrasse, elle m'accompagne depuis un transat, à demi allongée, ses lunettes de soleil vissées sur son nez. Mariam, au loin, nous adresse de grands gestes. Nous l'invitons à nous rejoindre avec joie.

— Je suis désolée pour hier, mais mon fils a voulu inviter sa vieille maman à dîner en tête à tête, nous informe-t-elle. Alors, c'était bien ce bal ?

Ma sœur répond d'un signe de main éloquent. Pour elle, effectivement c'était bien, voire peut-être même un peu trop. Quant à moi, un pouce levé suffit à éluder le sujet.

Tandis que je lui sers un café, Mariam récite le planning des activités possibles aujourd'hui, qu'elle a visiblement appris par cœur. J'ai bien compris sa démarche : nous traîner avec elle. Les ateliers en semaine sont réservés à l'avance, ceux du week-end en revanche, ouverts à tous et sans inscription préalable, leur assurent plus de participants j'imagine. Quand je me tourne vers Marina pour solliciter son avis, sa réponse est on ne peut plus claire.

— Oh la, non. Je reprends la route dans six heures et j'ai trop mal aux cheveux. Ma chérie je t'aime d'amour, mais ce matin tu m'oublies !

Finissant sa phrase, elle fusionne avec sa chaise longue, maugréant contre l'alcool et son mal de tête.

Je me prépare assez rapidement sous les complaintes de ma sœur. Elle culpabilise de ne pas être en état, de me laisser seule, sans comprendre que ça n'est pas grave à mes yeux. Elle, qui a toujours été là pour moi, a aussi le droit de penser à elle.

Avant de partir sous un soleil radieux, je rapproche un parasol pour protéger Marina qui dort à présent à poings fermés.

En nous dirigeant vers l'atelier, Mariam m'informe que Latifah est en bivouac pour le week-end. Je l'imagine alors, treillis et paquetage sur le dos, en train de gravir la montagne, suant sang et eau sous les cris d'un colonel d'armé sans cœur, avant que Mariam ne casse le mythe en me parlant d'un Spa d'altitude.

Un bon massage, voici ce qui me ferait du bien. Pas au point de digérer mon infortune, mais ça serait un début.

Dans le sous-bois, nous cessons nos papotages, frappées par le silence des participants déjà présents. Des coussins turquoises et des violets jonchent le sol.

— On va faire une bataille d'oreillers ? chuchoté-je à l'oreille de Mariam.

Son rire s'envole et se percute aux réprimandes des autres. Toutes deux retenons un fou rire en nous asseyant.

Ma bonne humeur s'éteint quand je me rends compte que Marielle est là.

Pire, c'est elle qui anime, me semble-t-il. La regarder fait naître ce pincement dans ma poitrine que je peine à dominer. Je l'envie. Pour plein de raisons.

Après LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant