III. 4. Tooru

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La Ligue mondiale s'est terminée, les Jeux sud-américains ont commencé. L'hiver, dans l'hémisphère sud, c'est la saison internationale et c'est éreintant. José nous a déjà dit qu'on n'enverrait pas tout le monde aux Jeux panaméricains qui nous attendent encore après -ce sera peut-être l'occasion pour moi d'avoir la titularisation sur le poste de passeur.

J'essaie de me focaliser sur le volley un maximum. J'essaie, de toutes mes forces, de ne pas penser au dérapage qui a eu lieu à Cordoba après le match contre le Brésil. Les flashs traversent encore ma tête. Impossible de les éclipser. Impossible de nier. J'ai encore le goût du sang de Romero sur ma langue, la sensation de ses cheveux mouillés entre mes doigts, celle de mes genoux sur le carrelage pendant que je le prenais à même le sol. Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé, comment on a abouti à cette situation. J'ai l'impression d'avoir été le spectateur d'un autre. D'un autre Tooru, d'un homme sauvage et haineux que je ne connaissais pas. J'ai l'impression d'avoir perdu une part d'humanité. Quelle déchéance.

Il n'y a pas eu de suite. Quand j'ai retrouvé tout le monde dans la loge VIP, il était déjà là et parlait avec Bruno comme si rien ne s'était passé. Mes coéquipiers ont salué mon arrivée, et José... José m'a jeté un regard à m'ouvrir l'âme en deux. Je crois qu'il a su tout de suite. Il l'a lu dans mes yeux. Mais il n'a rien dit, après tout la compétition n'était pas finie, il nous restait un match. On l'a gagné, et le Brésil qui jouait après nous a gagné le sien aussi -mais Romero n'a pas joué. Il avait le poignet bandé, et il est resté dans le carré des remplaçants, ne manquant pas d'adresser un signe de victoire à la caméra quand elle passait sur lui. Sans ça, j'aurais presque pu croire que la scène de la veille s'était passée uniquement dans ma tête.

Le Brésil a terminé premier de notre poule. Nous avons été éliminés. Alors, comme tous les autres, je suis rentré chez moi et j'ai regardé la fin de la Ligue à la télé -le Brésil, et Romero de retour, ont battu le Canada et la Russie et se sont qualifiés pour les demi-finales ; là, ils ont battu les Etats-Unis, et c'est seulement en finale qu'ils se sont inclinés 3-2 contre la France. Encore une belle performance, encore une médaille d'argent autour du cou. Nicolas Romero a reçu le titre de meilleur réceptionneur-attaquant du tournoi, dominant le classement devant Ngapeth -et mes yeux ne quittaient pas son visage, son sourire caractéristique. Je me suis demandé combien d'autres hommes étaient en train de le regarder, à ce moment-là, en vrai ou à l'écran, avec dans leur esprit les souvenirs charnels qu'ils gardaient de sa compagnie.

A côté, en division 2, le Japon aussi a brillé. Ils se sont qualifiés jusqu'en finale et ont décroché l'argent ; et, comme pour la division 1, j'ai soigneusement suivi les derniers matchs. Miya Atsumu a été désigné meilleur serveur, et Tobio... Eh bien, Tobio a été élu meilleur passeur de la division. Je l'ai regardé se faire interviewer, la médaille autour du cou -ses yeux bleu sombre encore animés par la finale, ses lèvres qui s'étiraient légèrement sur un sourire fier, la manière toujours altière dont il se tient, là, comme s'il possédait le terrain tout entier. Il est toujours un roi. Et il est magnifique.

-On s'est beaucoup entraînés, disait-il, et entendre sa voix me donnait des frissons de nostalgie. On cherche surtout la rapidité et les combinaisons... Avec Miya -san, on explore toutes les possibilités.

(J'ai éteint à ce moment-là).

Je ne lui ai pas envoyé de message. La pensée m'est venue plusieurs fois depuis que je sais que José voit d'autres hommes. Pourquoi est-ce que je me priverais de faire pareil ? Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas retrouver mon Tobio-chan -notre relation était si douce, si pure et si confortable ? Peut-être qu'il serait d'accord, qu'il me pardonnerait. Il a bien dit qu'il ne me détestait pas. Et on aurait des occasions de se croiser...

IkaroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant