IV. 1. Nicolas

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Quand je me réveille, ce matin-là, mes yeux sont frappés par la clarté qui règne dans la pièce.

Je reste quelques minutes à la frontière entre le songe et la réalité, dans l'état vaseux de la sortie de sommeil. Il fait jour. Quelle heure il est ? J'ai l'impression d'avoir dormi des jours entiers. Ça m'est pas arrivé depuis un bail, de passer une nuit aussi paisible et sans cauchemars. Ça fait du bien...

La joue contre la taie tiède de l'oreiller, je me laisse doucement envahir par les souvenirs d'hier. Tobio Kageyama hier matin, ses joues rouges et ses balbutiements d'ado timide. Tobio Kageyama hier soir, son souffle précipité et ses doigts audacieux tandis qu'il me suppliait de le prendre. Ses ongles dans ma peau tandis qu'on fusionnait au milieu du feu d'artifice doré -son cri de jouissance qui avait dissimulé la mienne, simultanée ; et puis après ça, son corps contre le mien sous les draps, calme, doux et chaud.

Je me retourne sur un coude. Le lit est vide. Il est parti ? Non, j'entends la douche. Je me lève, je passe mes jambes engourdies dans mon jogging, puis je retrouve mon téléphone abandonné sur la table basse -neuf heures du matin ? Bon sang, ça c'est une vraie grasse matinée, c'est royal. Je lance la cafetière en parcourant mes notifs. Flavia m'a envoyé une vidéo d'elle et Rubinho en train de chanter une comptine ensemble. Ils sont tellement adorables tous les deux. Ils me manquent. Façade ou pas, c'est ma famille et je me sens toujours un peu vide en leur absence.

Mon mug vient de se remplir quand Tobio entre dans la pièce, me voit et se fige. Il a remis ses vêtements d'hier et ses cheveux sont humides ; ses yeux en amande font des allers-retours entre mon visage et mon torse, je trouve ça plutôt flatteur. Finalement, il s'avance, l'air de chercher quoi dire, et je lui épargne cette peine :

-Café ?

Il hoche la tête et se hisse sur un tabouret du comptoir, face à moi.

-J'ai, euh, été dans la douche, dit-il dans son anglais précaire.

-Pas de souci, fais comme chez toi.

Parce que je compte bien te voir ici souvent. J'avoue que j'avais l'intention de me mettre Tobio dans la poche, ou ailleurs, pour être sûr que mes histoires de dépravation restent bien au chaud entre nous ; d'une part parce qu'il est le seul à être au courant ici et que le lier à moi neutralise cette info, d'autre part pour me stabiliser avec un amant régulier et éviter de multiplier les sorties qui pourraient donner prétexte à des rumeurs.

Et puis, je l'avoue, récupérer l'ex que Tooru a lâchement abandonné est un joli bonus... Quel loser, ce Tooru, je suis sûr qu'il a brisé le cœur de ce petit Tobio en mille morceaux quand il s'est envolé pour San Juan en croyant que José en ferait son compagnon -un bel espoir qui ne se réalisera jamais. Je me demande ce que sait Tobio de cette histoire, après tout, ça fait des années que Tooru est en Argentine, il a dû passer à autre chose. En tout cas, je ne vais pas me risquer à faire des commentaires là-dessus en premier -Tooru et moi, on n'est pas plus vertueux l'un que l'autre.

Enfin, pour l'instant, il faut que je m'occupe de Tobio. J'ai l'impression qu'il est différent de mes plans précédents -bon, déjà parce que c'est pas commun qu'on me demande de tenir le rôle du dominant et pas juste de prêter mon cul. Ça établit une dynamique différente. Le fait d'être celui qui prépare l'autre, ça me place dans une posture où je prends soin de mon partenaire, pas seulement de moi-même... Et quand il s'est abandonné à moi, cette nuit, c'était comme s'il me faisait totalement confiance. Pourtant, on se connaît à peine. En plus, j'ai eu un orgasme, c'est pas si courant non plus au final -en même temps que lui, qui plus est, et au milieu d'un feu d'artifice. Jolie première fois.

IkaroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant