I. 6. Tooru

121 14 113
                                    


Lorsque je sors de la gare de Tokyo, je n'ai pas encore fait mon choix.

Première option. Je prends le métro jusqu'au Tokyo Metropolitan Gymnasium, à Shibuya, pour aller soutenir mon petit-ami qui joue son premier match aux Nationales aujourd'hui. Oh, je suis toujours partant pour voir du volley, et en plus, ce sont les meilleurs équipes lycéennes ; ce qui veut dire pouvoir observer de près de futurs adversaires, ou de futurs coéquipiers. Et ça ferait sûrement plaisir à Tobio de me voir dans les gradins. D'ailleurs, Iwa-chan m'avait proposé d'y aller. Mais... je ne suis pas sûr de savoir apprécier l'événement comme il se doit. Je voulais y aller en tant que joueur, pas en tant que spectateur. C'est du pur orgueil, Ushiwaka dirait : un orgueil mal placé, mais je n'ai pas envie d'y aller.

Deuxième option. Je prends le métro comme je l'ai fait déjà quatre fois depuis septembre, et je me rends au Tokyo Gas Gymnasium pour revoir José Blanco. J'aimerais lui demander son avis sur l'idée d'intégrer directement la V-League plutôt que de passer par un cursus universitaire dans lequel je ne suis probablement pas assez connu. Et puis, je veux savoir ce qu'il est allé faire aux All-Japan Youths le lendemain de notre dernière entrevue. Est-ce que c'était un hasard ? Je ne pense pas. Et il a sûrement repéré Tobio... Bref, la discussion promet d'être instructive. Mais... Mais si les choses dérapent comme la dernière fois ? On n'a pas eu l'occasion de se parler depuis. J'ai eu trop peur pour lui envoyer un mail.

Quand je repense à ces quelques minutes -la fellation, l'orgasme sur ses genoux- je n'arrive pas à savoir ce que je ressens. De la honte ? Du désir ? Un mélange des deux ? Je ne sais pas. Le désir devrait s'être évanoui, à présent, puisque ça y est, on a commencé à avoir des rapports avec Tobio. Et je n'ai pas à m'en plaindre, c'est très bien, c'est très doux, très plaisant. Je m'attendais à ce que la première fois soit ratée, comme il n'avait aucune expérience, mais il a été parfait. Est-ce que j'ai envie de le trahir en allant voir Blanco, sachant fort bien qu'il y a un risque ? Est-ce que je ne suis pas déjà en train de le tromper en lui cachant ce qui s'est passé la dernière fois ?

Et pourquoi est-ce que je continue de penser à Blanco ? Pourquoi cette tentation de le revoir, et pourquoi, si je suis tout à fait honnête, cette envie qu'il me touche à nouveau ? Je suis comblé avec Tobio, charnellement parlant. Il n'est plus question de frustration sexuelle comme ça pouvait être le cas en décembre. Il y a autre chose, et c'est tout simple dans ma tête.

José Blanco est, et reste, l'homme que j'admire le plus au monde.

Il a été un joueur incroyable. Il est celui qui m'a inspiré. C'est à travers lui que j'ai évolué en tant que joueur, en tant que passeur, et en tant qu'être humain. Et cette personne, cette légende, s'intéresse à moi. Il m'a écouté, il m'a conseillé, et il m'a désiré. Je n'arrive pas à en concevoir autre chose que de la fierté et de la vanité. Il est mondialement célèbre, et il m'a voulu, moi. Je sais que je ne me pardonnerais jamais d'avoir trompé Tobio, et j'espère qu'il n'apprendra jamais cet écart -mais j'ai presque le sentiment qu'il y a prescription. Qui résisterait aux avances d'un champion mondial ?

J'ai envie qu'il me regarde à nouveau, qu'il me désire à nouveau. Peut-être qu'il y aura plus, peut-être que quelque chose de grand est sur le point d'arriver. J'ai l'impression d'être un funambule sur son fil, en train d'avancer sans savoir de quel côté je vais tomber, en sachant que je ferai forcément une erreur, mais laquelle ? A quel moment ? Pour quels regrets ?

J'aime Tobio. J'aime notre relation amoureuse.

Mais José Blanco, c'est autre chose.

Le choix est fait, après tout. Comme un mois plus tôt, je me retrouve devant sa porte, j'inspire, je frappe. J'entends du mouvement à l'intérieur. L'idée me vient soudain que, si ça se trouve, il est en train de faire la même chose avec quelqu'un d'autre, avec un de ses joueurs, ou n'importe... Le soupçon m'étreint le cœur. Je me déteste. Je me doute parfaitement que Blanco n'en est pas à son coup d'essai, mais ça me fait quand même mal de penser que je ne suis pas le seul, pas une exception.

IkaroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant