I. 4. Tooru

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Je me regarde toujours dans le miroir avant de sortir. Il faut bien que je sache à quoi je ressemble.

Aujourd'hui, j'ai choisi un long manteau couleur daim, bien cintré, des chaussures de ville en cuir, et une écharpe d'un bleu sombre. C'est une couleur qui me va bien, paraît-il. C'est la couleur des yeux de Tobio.

J'hésite à mettre un bonnet ; le mois de décembre est glacial, il est tôt, et les températures sont encore en dessous de zéro. J'en choisis un blanc, en laine, et je l'enfonce délicatement sur ma tête pour estimer l'effet, présentant tour à tour mes deux profils à la glace. Je devrais peut-être faire sortir quelques mèches sur mon front. Non, ça fait idiot. Je préfère l'enlever.

Je soupire. J'ai beau m'efforcer de conserver ma routine habituelle, il y a un poids sur mon cœur, je ne peux pas faire autrement. On est dimanche et je n'ai pas pu voir Tobio ce week-end. Il est à Tokyo. Au camp des All-Japan Youth, en train de s'entraîner avec les meilleurs lycéens du Japon pour, probablement, préparer son entrée dans l'équipe nationale des U-19, puis son arrivée dans la véritable équipe nationale.

Moi, je suis là, j'essaye un bonnet.

Je me sens inutile et je déteste, j'exècre, je hais ce sentiment. J'ai horreur de ça. Je pensais avoir dépassé ça, avoir compris que j'ai mes propres armes, mes propres moyens de me battre et d'aller au bout de mes ambitions. Je pensais que les complexes d'infériorité étaient derrière moi. Mais non. Ils sont bien là. Ils me regardent en retour dans le miroir.

Tobio m'a battu aux qualifications pour le tournoi de printemps. Tobio va aux Nationales. Tobio est sélectionné pour un camp prestigieux. Qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je dois faire avec tout ça ? Le soutenir, comme le ferait un bon petit-ami ? Dissimuler mon amertume, me mentir à moi-même et à lui ? Assumer cette jalousie et lui faire du mal ? Non, je ne veux pas le blesser. Il ne mérite pas ça.

J'inhale profondément pour retrouver mon calme, et je sors. J'ai rendez-vous, aujourd'hui, un rendez-vous important, je ne peux pas me laisser dépasser par des angoisses de collégien insécure. J'ai dix-huit ans, je suis bientôt diplômé, j'ai tout l'avenir devant moi pour accomplir mes rêves. Et aujourd'hui, avec l'aide de José Blanco, ils pourront peut-être devenir un peu plus accessibles.

Il me faut trois heures de train et dix minutes de métro pour rejoindre l'arrondissement de Koto, là où est basée l'équipe que Blanco coache actuellement, le FC Tokyo. Tobio n'est pas si loin d'ici ; juste un peu plus au nord, dans l'arrondissement de Kita, au centre d'entraînement national Ajinomoto. Je plisse les yeux, et je laisse la pensée derrière moi en entrant dans le Tokyo Gas Gymnasium ; je grimpe deux à deux les escaliers jusqu'à son bureau. Ce n'est pas la première fois que je viens. En fait, c'est la quatrième depuis qu'il est arrivé au Japon début septembre. Une fois par mois. Chaque fois, je fais l'aller-retour. Chaque fois, j'ai envie de revenir, j'ai envie de le revoir.

C'est un être incroyable. Malgré sa renommée légendaire, il m'écoute attentivement raconter mes petits problèmes de volleyeur lycéen, il réfléchit sur ma situation, il me donne des conseils d'une grande sagesse. Je sens que je peux lui faire confiance -moi, et José Blanco ! Est-ce qu'il y a un meilleur sentiment au monde ? Un joueur international me prend en considération. Voilà de quoi me redonner le moral, au moins un petit peu.

Je suis toujours un peu impressionné au moment de frapper à sa porte, et encore plus quand il ouvre et se tient là, juste devant moi, en chair et en os. Ça a beau être la quatrième fois, j'ai toujours le souffle coupé.

Il me domine de toute sa taille ; il fait facilement dix centimètres de plus que moi, je dois relever la tête pour bien le regarder. Son aura de champion ne l'a pas quitté. Il porte la vieille veste de la sélection argentine, bleue, blanche, ornée d'un soleil doré, et qui met en valeur la largeur de ses épaules.

IkaroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant