José m'a donné ma convocation pour l'équipe nationale argentine en main propre.
C'est probablement un des plus beaux moments de ma vie ; ça y est, enfin, après des années à lutter, après des années à m'entraîner, à prendre des risques, à sacrifier, j'ai atteint mon objectif : intégrer une sélection nationale. Pendant des années, quand j'imaginais ce moment, je pensais arborer un drapeau japonais sur ma poitrine, porter la couleur rouge traditionnelle -eh bien, ce sera du bleu, comme un ciel au milieu duquel flotte, sur mon pectoral gauche, un petit soleil ; et c'est tout aussi bien.
J'étais resté immobile devant la lettre. Les larmes m'étaient monté aux yeux, le temps que la pensée s'impose dans mon esprit -ça y est, je suis un joueur national. Je vais me battre sur le terrain pour représenter mon pays. José avait souri, puis avait tempéré un peu :
-Pour l'instant, je vais surtout te faire rentrer au service, pour la passe, on verra plus tard, ou en fonction...
Oui, normal. Il faut que je rencontre mes nouveaux coéquipiers nationaux, que je m'habitue à jouer avec eux, qu'on apprenne à bien se connaître avant de pouvoir être en symbiose sur le terrain. Mais quand même. Un horizon entier vient de s'ouvrir à moi. Un pas de plus vers le succès. Une preuve de plus que j'ai bien fait de suivre Blanco en Argentine.
Enfin. Si José est un coach hors pair, c'est autre chose du point de vue des sentiments. On n'a jamais reparlé de la confession qu'il m'a faite ce soir-là, en février à Buenos Aires dans cette chambre d'hôtel, celle qui m'a permis de poser un nom et un visage sur l'autre homme -ou l'un des autres hommes- qu'il fréquente. Nicolas Romero, le champion de l'équipe du Brésil. Et désormais l'homme que je déteste le plus au monde.
Ma fureur n'est pas retombée. Je sais que je devrais peut-être en vouloir à José de me tromper, de me préférer quelqu'un d'autre, de ne pas voir ce que je suis prêt à faire pour lui. Mais je préfère le garder dans la bulle d'idolâtrie où je l'ai toujours placé, c'est plus facile. Ça m'évite de cogiter. Et je concentre ma haine sur celui qui me le prend, celui qui se l'accapare, celui qui me le vole.
Avec la convocation est arrivée le stage d'entraînement national, puis la ligue mondiale 2017, et je sais que je le verrai là-bas. Qu'est-ce que je vais lui dire ? Qu'est-ce que je vais lui faire ? Je ne sais pas. Je n'arrive pas à imaginer quelque chose à la mesure de ma haine.
-Purée, j'aurais jamais cru dire qu'il fait meilleur en Russie, soupire Martin tandis qu'on descend de l'avion. Enfin, ici, c'est l'été...
On passe la première semaine à Kazan, au gymnase d'un des plus grands clubs de volley d'Europe. Trois jours, trois matchs. Je porte le numéro 13, le numéro qu'avait José, le cœur tout gonflé de la symbolique. Il me fait entrer au service plusieurs fois -et, contre la Bulgarie, je marque mon premier ace sur terrain national. Mes coéquipiers m'entourent, je lève un poing, et à cet instant, à cette seconde, j'espère que le monde entier a les yeux rivés sur moi. Que tout le monde, mes amis, mes ennemis, ma famille, Tobio, Miya, Ushijima, Hibarida, José, Romero, que tous voient combien je suis fort, moi aussi.
Deux défaites sur trois, mais peu importe, il faut gagner pour avancer, c'est comme ça a toujours été depuis le collège. Pour la deuxième semaine, on se rend à Téhéran, mais on perd les trois matchs contre la Serbie, la Belgique et l'Iran. Tant pis, tant mieux peut-être -José m'a fait rentrer à la passe, et même si je n'ai pas mené l'équipe à la victoire, j'ai pu faire mes premiers pas de passeur national. Ça, c'est grand.
Troisième semaine, retour au bercail. On joue à une heure d'avion à peine de San Juan, à Cordoba. Ça fait du bien de retrouver l'Argentine -je me rends compte que je m'y sens chez moi, maintenant ; mais toute la confiance que j'ai accumulée de mes expériences en match et le réconfort de retrouver mon foyer sont déstabilisées par la pensée que ça y est, il va être temps d'affronter le Brésil. Ils vont arriver ici, eux aussi -et ils ont déjà beaucoup de points au compteur avec leurs quatre victoires, ils sont encore bien partis pour gagner. J'ai envie d'en découdre, et en même temps, je me sens tétanisé en sachant que José va peut-être en profiter pour me délaisser au profit de Romero. Je n'ai pas envie qu'ils se voient. Ça me tue de l'intérieur de l'envisager.
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Ikaroi
FanfictionEst-ce que ça en valait la peine ? Je ne le saurai sans doute jamais. A présent, je regarde en arrière vers ma liberté perdue, et je voilà ce dont je me souviens : des sourires brillants, des corps d'athlètes, des médailles d'or et des regards de br...