II. 4. Tobio

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Je suis sûr à 60% que Miya essaie de me draguer.

Depuis qu'on est entrés dans ce gymnase, il ne m'a pas lâché. Il agrippe ma manche toutes les trois secondes pour me montrer tel ou tel joueur -comme si je ne savais pas les reconnaître tout seul. On est retournés au bar pour se chercher à boire, et il y avait quelques Polonais qui nous ont demandé qui on était. Ils avaient l'air contents de nous rencontrer. Kurek, encore plus grand en vrai, nous a tapé dans le dos (c'était incroyable) et nous a offert deux verres de vodka avant de dire quelque chose comme :

-Na zdrowie !

Sûrement à la vôtre, enfin je sais pas, je parle pas polonais, il aurait pu nous insulter que c'était pareil. J'ai trempé mes lèvres, j'ai cru que j'allais recracher, j'ai regardé Miya, Miya m'a regardé, et Kurek a rigolé.

Depuis, on s'est posés dans les gradins, entre des gars qui ressemblent à des basketteurs et des filles de l'équipe chinoise. Je continue à siroter la vodka en espérant que ma gorge finisse par s'habituer à la brûlure. Miya me parle, mais j'ai du mal à l'entendre par-dessus la musique, et de toute façon je ne l'écoute pas vraiment. Je regarde la foule, et au milieu, facile à repérer, le T-shirt blanc de Nicolas Romero.

J'ai beau essayer de garder une vue d'ensemble, je reviens toujours à lui. Je le vois apprendre des pas de danse (de samba ?) à une joueuse aussi grande que lui, sûrement une fille de l'équipe serbe ; puis il parle à Bruno, et quand je dis parler c'est qu'ils sont littéralement joue contre joue -mais je suppose qu'avec la musique à côté, ils doivent avoir du mal à s'entendre. Un joueur que j'identifie comme Russell, si je ne m'abuse un de ses coéquipiers de club à Pérouse, vient ensuite le serrer dans ses bras, et ils se mettent à danser tous les deux en se tenant les mains.

Je me demande si je serai aussi proche de mes coéquipiers, quand j'intégrerai la ligue italienne. Ils ont tous l'air tellement fusionnels les uns avec les autres, même physiquement parlant -en V-League, c'est pas vraiment la même ambiance ; c'est fraternel, c'est respectueux, oui, mais je ne dirais pas que c'est chaleureux.

-Miya-san, tu voudrais partir en ligue étrangère un jour ?

Ses grands yeux sombres se posent sur moi. Ses cheveux ont presque l'air blancs, dans les lumières de la fête ; le gel qu'il a mis pour maintenir une raie nette a cessé de faire effet et quelques mèches blondes retombent sur son front.

-Hm, je ne sais pas trop. Je pense que ce sera nécessaire, si je veux évoluer, mais pour l'instant, je me sens bien au Japon... et puis, 'Samu serait perdu sans moi.

-J'aurais dit l'inverse.

Il me tape la cuisse :

-Tobio-kun ! C'est ça ton opinion de moi ?

Je peux pas m'empêcher de sourire. Ça fait du bien de charrier un peu Miya -je ne sais pas si c'est la vodka, mais je commence à me sentir bien, moi qui me croyais fatigué. Et puis tout d'un coup il me balance :

-Pourquoi ? Tu comptes partir, toi ? Tu voudrais le rejoindre en Argentine ?

Mon cœur se serre. Mon cœur ne cesse, ne cessera probablement jamais de se serrer quand Oikawa est impliqué. Ça fait plus de trois ans qu'on a rompu et la douleur n'est pas partie, elle est toujours là, dans ma poitrine. Alors, la souffrance s'est calmée avec le temps. Je ne pleure plus quand je repense à lui. Ce qui fait mal, maintenant, c'est de me rendre compte que j'oublie -j'oublie son odeur, j'oublie la texture de ses cheveux, j'oublie la forme de ses lèvres.

Quand je repense à notre relation, ce sont plutôt des sensations -comment je me sentais lorsqu'on se câlinait dans son lit, tôt le matin avant que le réveil sonne ; lorsqu'il attendait que ses amis aient le dos tourné pour m'embrasser. Lorsqu'il me murmurait je t'aime, Tobio-chan, quand on se retrouvait devant le lycée, je t'aime, quand on faisait l'amour, je t'aime, par message, au téléphone, avant de dormir, sur ses lèvres quand il s'éloignait en m'adressant un cœur avec ses doigts, je t'aime.

IkaroiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant