On est en août de l'année 2000, j'ai douze ans et tout ce que j'ai dans la tête, c'est cette horrible rengaine : pas d'argent, pas de volley. Mon beau-père me l'a répétée tout à l'heure, quand je lui ai demandé si je pouvais aller au tournoi demain. C'est un tournoi important, Eduardo a dit qu'il fallait absolument qu'il y ait le plus de monde possible. Mais pas d'argent, pas de volley.
Alors je suis là. Dans la rue. J'attends qu'on m'aborde. C'est la zone, les gens savent bien ce qu'ils cherchent quand ils viennent ici. Comme la rue est déserte, je me suis assis sur une borne en pierre, au soleil. Je regarde mes jambes bronzer. Puis, quand j'en ai marre, je me lève et je marche de long en large sur le trottoir. Le short me glisse des hanches, il est un peu trop large, c'était à mes sœurs. J'ai envie de rentrer à la maison, mais je ne peux pas, pas sans argent.
Je m'ennuie. Je me retourne, peut-être que mes sœurs ont fini, que je peux aller attendre avec elles. Pile à ce moment, j'entends une voiture ralentir à ma hauteur. Je me retourne. C'est une belle voiture. Une grosse voiture de riche, bleu électrique, on n'en voit jamais des comme ça, ici. La vitre s'abaisse. A l'intérieur, il y a un homme blond avec un peu de barbe, qui porte des lunettes de soleil et qui s'adresse à moi d'une voix grave et calme, avec un léger accent étranger :
-Tu fais combien ?
Je regarde à droite et à gauche. C'est vraiment pour moi ? Ça m'étonne un peu, mais c'est une bonne nouvelle. Les étrangers ne sont pas trop violents, souvent, ils viennent par curiosité. Je peux le finir vite et récupérer mon argent, peut-être même qu'il laissera un pourboire. Je croise les mains dans le dos et je réponds :
-Cinquante réais.
-La passe ? demande l'homme.
-Non, juste la bouche.
-Combien pour la totale ?
-Je fais pas la totale.
Ça, c'était la seule condition de ma mère quand mon beau-père a décidé que je devais bosser. Ça fera moins cher, il a dit, mais ça rapportera toujours un peu d'argent. Et de l'argent, j'en ai besoin pour pouvoir faire du volley. Donc voilà. Le trottoir. Mais seulement la bouche.
L'homme a l'air déçu. Je me dis qu'il va remonter sa vitre et partir, c'est bête, c'est un client de perdu ; mais à la place, il enlève ses lunettes de soleil et révèle les yeux les plus clairs que j'aie jamais vus. Ils sont bleu-gris, presque transparents. C'est la première fois que je vois un regard comme ça, et il me coupe le souffle.
-Je t'offre deux cents réais la totale, dit-il.
Hm. J'hésite. Ça fait beaucoup d'argent. Peut-être même que c'est assez pour chômer le reste d'aujourd'hui et toute la journée de demain pour profiter du tournoi. Et puis, l'homme dans la voiture n'a pas l'air méchant, sa voix est chaude et douce, il n'est pas moche. Pourquoi pas lui pour une première ? Lui ou un autre, c'est pareil, faudra bien y passer. Vaut mieux ce gars-là qu'un mec bourré qui me retourne dans un coin sans me payer à la fin, non ?
Mais quand même. J'ai peur. J'oscille d'un pied sur l'autre en cherchant quoi répondre. Maman sera déçue. J'y connais rien, peut-être que si je fais mal quelque chose, il ne me paiera pas. Et puis... Et puis j'ai vraiment peur d'avoir mal. Quand j'y pense, je connais la théorie, mais ça me terrorise. Je regarde l'homme dans la voiture, je ne trouve pas les mots, et lui, il sourit doucement :
-C'est ta première fois ?
J'arrive même pas à répondre, je me contente de hocher la tête. Son sourire s'élargit :
-Je vais faire monter les enchères, alors. Tu penses que tu me laisserais ta virginité contre mille réais ?
Mille. Réais. Mille réais. J'ai bien entendu ? Mille réais. C'est énorme. J'aurai plus jamais une occasion comme celle-là. Je crois que jamais personne n'a ramené autant d'argent d'un coup à la maison. Avec ça, c'est sûr que je pourrai aller au volley demain. Et la famille serait à l'abri quelques temps. En fait, j'ai pas trop le choix. Je dois faire mon devoir. Pour maman. Et pour le volley. Alors je dis d'une voix qui sonne un peu faible :
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Ikaroi
FanfictionEst-ce que ça en valait la peine ? Je ne le saurai sans doute jamais. A présent, je regarde en arrière vers ma liberté perdue, et je voilà ce dont je me souviens : des sourires brillants, des corps d'athlètes, des médailles d'or et des regards de br...