L'Enfer c'est toi #2

•| 25|| Admission imprévue

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Bonne lecture 🖋️✨
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Je passe le pas de la porte sans un bonjour à Matty qui est assise avec un livre à la table de la cuisine, et entraîne Esther à l'étage supérieur, m'agrippant à la rambarde des escaliers comme si ma vie en dépendait alors que mon amie s'occupe de monter mes affaires. L'intérieur de mes joues doit probablement être à vif vu comment je serre la mâchoire depuis tout à l'heure. Ma nourrice ne doit pas s'apercevoir que quelque chose ne va pas car sinon elle préviendrait la famille, ce qui ne ferait qu'empirer la situation. Alors que je suis certaine d'avoir atteint mon but, me redressant sur mes béquilles en haut des marches, elle m'interpelle en haussant la voix et le frottement de tissus que je perçois me laisse penser qu'elle s'est levée. Une masse de cheveux roux à ma droite attire mon regard et je lis l'interrogation dans les prunelles de mon amie qui se rapproche elle aussi, intriguée.

— Une lettre est arrivée pour toi, Théodora, m'annonce simplement la vieille femme en pointant son nez en bas des escaliers pour être certaine que je l'écoute. Je l'ai posée sur ton bureau, conclut-elle avec un petit sourire en coin, comme pour me féliciter.

Je me propulse sur mes avant-bras pour atteindre ma chambre en quelques sauts, et me laisse tomber sur le dessus de lit après avoir attrapé l'enveloppe blafarde patientant entre des cahiers et une trousse. Je contemple pendant de longues minutes mon nom et mon prénom écrits en lettres cursives sans sentir les minutes passer, si bien qu'Esther finit par me secouer gentiment par l'épaule pour me sortir de ma transe.

— Alors, tu l'ouvres ? chuchote-t-elle en se penchant devant mes yeux.

Je secoue la tête lentement et lui glisse le papier dans les mains, le regard suppliant à demi larmoyant. Elle acquiesce, comprenant ce que je souhaite, et glisse ses doigts fins dans le pli fermé. Le papier de la lettre est d'un blanc immaculé et je me rends compte que ma lèvre est prisonnière entre mes dents et qu'un goût métallique envahit ma bouche, alors je prends une grande inspiration et la relâche lentement, enfonçant mes ongles dans mes paumes à la place. Les yeux de mon amie cherchent les miens et elle cligne trois fois des paupières quand elle les trouve, comme pour m'envoyer du courage. Tout va bien, Théa. Ses prunelles disparaissent derrière les lignes et bougent de gauche à droite au rythme de sa lecture. Mon souffle s'accélère malgré moi et elle me fixe d'un air à la fois vide et choqué lorsqu'elle a terminé.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? murmuré-je en tremblant comme une feuille.

Esther secoue la tête et se laisse tomber sur le lit à mes côtés, me tendant la lettre pour toute réponse. Je déglutis bruyamment puis me force à la lire à mon tour, les paumes moites comme jamais. Je reconnaîtrais entre mille le petit logo qui surplombe le corps du texte, et le voir imprimé noir sur blanc dans une lettre destinée à ma personne me donne des papillons dans tout le corps. Comment est-ce possible ? À cause de ma cheville cassée, je n'ai pas pu passer l'audition ni postuler... Je me racle la gorge pour m'encourager moi-même puis me lance.

Chère madame Judensky,

Nous avons le plaisir de vous informer que votre demande d'admission à l'école de danse Marius Petipa a été acceptée. Nous sommes toujours à la recherche de jeunes prodiges et vous avez été sélectionnée parmi toutes les demandes qui nous ont été envoyées. Grâce aux vidéos envoyées par M. O'Connor, nous avons pu prendre conscience de votre ténacité et votre capacité à progresser à une allure folle malgré le nombre de difficultés qui se présentent à vous, ce qui nous a fortement impressionnés. Nous vous laissons finir votre deuxième année de lycée et vous rétablir de votre blessure, après quoi nous sommes prêts à vous accueillir parmi nous pour vous former comme il se doit. Nous avons foi en votre talent, Théa, j'espère que vous avez conscience de votre potentiel.

Merci à vous de nous avoir fait part de votre candidature et au plaisir de vous voir un jour parmi nous,

Cordialement,

James Petipa, directeur de l'école.

Mon cœur doit probablement avoir élu domicile dans ma gorge, car je le sens battre à toute allure contre ma trachée. Je relis les lignes trois fois et ce n'est qu'au bout de la quatrième que je manque de m'évanouir en comprenant enfin qui a postulé à cette école sous mon nom. Je saisis mes béquilles et m'élance vers les toilettes, une Esther complètement déstabilisée par ma réaction à ma suite. Je me laisse tomber à genoux sur le parquet, agrippant la cuvette et éclate en sanglots en même temps que de me vider de mes tripes et mes boyaux. Des vagues de souvenirs me reviennent, et je comprends enfin le sens caché de son message de tout à l'heure, celui qui accompagnait la petite danseuse qui avait éclaté au sol. Comme elle, un jour tu brilleras. Et crois-moi, ce jour se rapproche de plus en plus, la Miss.

Il savait. Il savait que j'avais été sélectionnée, et revenait me voir en pensant que je le savais aussi et qu'ainsi, je l'avais pardonné. Si seulement j'avais su moi aussi...

Esther me frotte le dos et j'entends les pas de Matty monter les escaliers avec précipitation. Tout est de ta faute, ricane ma conscience, et je le lui accorde, car pour une fois elle avait raison. Tout est ma faute.

Je pousse un gémissement et m'échappe à cloche-pied jusqu'à ma chambre avant de claquer la porte derrière moi de toutes mes forces. Punaise mais quelle idiote... J'attrape mon journal et relis ses lettres avant de les déchirer et de jeter le carnet entier par la fenêtre. Il atterrit sur la pelouse spongieuse trempée par la pluie drue qui tombe comme si le ciel était triste. J'étouffe mon visage dans mon oreiller et hurle toute ma douleur, ignorant les coups frappés à ma porte, je tire les rideaux et me glisse dans les draps, ne réussissant à m'endormir que tard dans la nuit, alors que je suis trop épuisée pour continuer à gémir, après que mon frère et ma sœur aient essayé de me parler, sans résultat.