L'Enfer c'est toi #2

•| 21|| Lettre

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Je file à travers les couloirs - si tant il est possible de filer en béquilles. En réalité, je boitille à la vitesse d'un escargot jusqu'à mon casier, mes pas résonnant dans les bâtiments car je suis arrivée avant le début des cours pour être sûre d'être à l'heure. Lorsque j'atteins ma destination, je récupère le carnet rose qui trône en plein milieu du casier, le glisse tant bien que mal dans mon sac, en équilibre sur un pied. Ma première heure est des maths... et après être restée enfermée sans pouvoir sortir le weekend, je n'ai qu'une envie : bouger, sortir, ne pas rester assise, même si c'est compliqué. Je pèse le pour et le contre quelques instants, avant de vider mon sac des cahiers dont je n'ai pas besoin, et de reprendre mon chemin vers l'extérieur pour rejoindre le studio de danse.

Assise sur le parquet qui m'a sentie transpirer un bon million de fois, mon reflet s'affichant sur les miroirs tout autour, j'inspire l'odeur caractéristique de mon sport préféré, mon justaucorps dans les bras, étant donné que je n'ai aucun intérêt à le mettre. Yeux fermés, j'essaie de ne penser à rien, mais c'est bien compliqué. Je sors alors mon journal de mon sac pour coucher ce que je ressens sur le papier, mais encore une fois, je suis interrompue dans mon élan. Sur la page qui était libre hier, une nouvelle écriture s'est apposée, particulière et reconnaissable entre toutes avec ses "l" en cursive liées. Je pousse un soupir, car je connais Luna et que je me doute que l'idée vient d'elle, mais mes yeux parcourent la page malgré eux, curieux.

Chère Théa,

Je suis sincèrement désolé pour tout ce qui s'est passé dernièrement. Oui, je ne t'ai pas tout dit, et si j'avais su que connaître mon passé t'importait tant, je t'aurais tout raconté depuis longtemps.

J'ai fait une gaffe énorme, et j'ai peur, j'ai tellement peur de te perdre... Tu es une fille formidable, la première qui ait su atteindre mon cœur pour tout te dire, et je t'aime. Je t'aime, Miss H. Je n'aurais jamais dû t'avouer à demi ce secret comme je le fais ; sans cela tu aurais encore tes deux pieds, tu aurais été sélectionnée à cet examen que tu devais passer, parce que tu l'aurais été, tu es une danseuse hors-pair, et s'ils ne te choisissent pas, ce sont les sélectionneurs les perdants, absolument pas toi. Grâce à ça, tu aurais encore une chance d'être acceptée dans cette école de danse dont tu rêves tant... j'ai tout fait basculer, je le sais.

J'ai fait une énorme bêtise, et on ne peut malheureusement pas changer le passé, faute d'avoir essayé, parce que dans le cas échéant, je l'aurais déjà fait. Je t'en supplie... Pardonne moi. Même si je ne le mérite pas, d'ailleurs je comprends ta décision si tu ne veux plus de moi. Sache juste que tu es une étoile, Théodora, une danseuse si douée que tu vas marquer les esprits.

Je sais que tu t'attaches vite aux gens qui te font du bien, et tu sais quoi ? je me suis rendu compte que moi aussi, mais tu faisais exception. Je sais aussi à quel point c'est dur de te récupérer, et que tu vas sûrement m'en vouloir pendant longtemps. Sache néanmoins que je suis là... toujours. Et que je vais tout faire pour que toi et moi, on se retrouve. Tu ne vas pas arrêter d'entendre parler de moi aussi tôt, je te le promets...

Salut la Miss ;)

B.

Le carnet tremble dans mes mains alors que je relis le message, frissonnante d'émotion. Il n'a quand même pas fait ça... Je sais que lui et moi, on s'aime bien, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il aille jusqu'à m'écrire une lettre... La colère est toujours là, et est installée pour un bon moment, ce qu'il a heureusement compris, mais je crois que le principe me plaît. Alors je sors un stylo et lui réponds sur la page suivante.

Cher Brian,

Tu as raison, je t'en veux. Et pas qu'un peu. Je voulais moi aussi m'excuser, parce que mon frère a été beaucoup trop loin hier soir. Jamais il n'aurait dû te faire du mal, et dorénavant je lui ai interdit de faire ce genre de choses à ma place. On peut discuter, si tu veux. Mais je ne veux pas te voir, pas encore en tout cas.

La pensée qu'à cause de ma fracture je ne vais pas pouvoir passer les concours pour accomplir mon rêve me brise une nouvelle fois le cœur.

Je ne sais pas ce que je vais faire. Après le lycée. Cette foutue blessure tombe vraiment au mauvais moment... Sache qu'en vrai, tu n'as pas à t'en vouloir... peut-être que l'erreur venait de moi, lorsque j'ai décidé de rester ton amie ? Qui sait.

Je déprime un peu, je crois. J'ai du mal à te faire confiance, mais je tenais à ce que tu sois au courant que je vais passer pas mal de temps dans le studio de danse. Même si je n'ai rien à y faire, ça me permet de me ressourcer. Enfin bon, je ne sais même pas pourquoi je te dis ça.

Salut B,

La Miss

Je me redresse à grand-peine, à la force des bras, et passe les lanières de mon sac autour de mes épaules, mon journal à la main, avant de me rappeler que j'en ai besoin pour tenir les béquilles. Je ne vais jamais m'y habituer, pensé-je. Tu en as pour un mois et demi, se moque ma conscience et je me retiens de me taper la tête pour la faire taire.

Je passe les portes vitrées et aperçois une silhouette quelques pas devant. Cheveux roux, lunettes noires. Forcément. Un pas devant l'autre, j'avance clopin-clopant, sans me presser puisque j'ai encore vingt minutes avant le début de mon deuxième cours. Tant mieux car le sol est humidifié par la pluie de cette nuit et qu'au retour, le chemin est en pente...