« L'amour interdit est souvent le plus fort,
car il doit surmonter des obstacles pour exister. »
Anonyme
*
Théa n'a qu'une envie lorsque ses parents lui annoncent un nouveau déménagement : se perdre dans les îles Caraïbes où elle demeurait dans la...
- Voici mes amis ! présente Luna avec un sourire dans ma direction. Paul, Nolan, voici Théodora, une nouvelle élève de ma classe !
- Théa, je la corrige immédiatement.
Seuls les adultes m'appellent par mon nom entier, je préfère largement le diminutif. Lorsque Lù s'installe sur les genoux du fameux Paul, et qu'il l'attrape par les hanches, je comprends qu'il y a plus que de l'amitié dans leur relation... Ce qui ne m'étonne pas, car il est très beau garçon. Cheveux blonds comme les blés, yeux gris perçant, manies brusque de quelqu'un retenant une souffrance au fond du cœur... avec sa nature de personne apaisante, la jeune fille doit être son médicament.
Son frère, Nolan, couve un regard énamouré sur ma nouvelle amie : aucun doute, il a un faible inavouable pour elle. Évidemment, puisqu'elle est déjà en couple... Quand nos regards se croisent, le sien, noir profond, me donne l'impression de me prendre un sceau d'eau bouillante sur le visage, remuant quelque chose d'inimaginable au creux de mon ventre. Du calme. Il est divinement séduisant.
Je m'installe près du couple et grignote une pomme pendant qu'ils parlent d'un bal prévu ce soir - auquel je ne vais pas participer. Quel intérêt, lorsqu'on ne connait personne et que l'on a aucun cavalier ?
- Alors, Théa, d'où viens-tu ? m'interroge Nolan en ramenant des mèches rebelles en arrière.
Luna et Paul continuent de discuter, n'ayant pas remarqué notre interaction, et je hausse intérieurement les épaules, me concentrant sur le jeune homme me contemplant les paupières plissées.
- Avant ici, j'habitais aux Caraïbes, je lui avoue en me frottant l'arête du nez - un simple tic qui ne me lâche pas dans les situations de gêne ou d'incompréhension.
- Pas mal ! s'exclame-t-il en ouvrant des soucoupes à la place des yeux.
Je glisse un doigt dans ma bouche pour me manger les ongles, mais Nolan me le retire en secouant du bonnet. La chaleur de sa main sur la mienne me fait couler un filet de transpiration dans le dos - ils pourraient ouvrir les fenêtres, non ? -, je me dégage doucement avec une expression crispée en m'empêchant d'essuyer la sueur brillant dans ma nuque.
- Ma sœur Alicia faisait la même chose, se justifie-t-il, elle avait besoin de mon aide pour s'en empêcher.
- T'en fais pas, je pensais... à rien d'autre.
Je retiens un ricanement gêné, et sens ma jambe tressauter : c'est un signe, je me lève, m'excuse auprès du groupe, et me dirige prestement vers mon casier, afin de marcher, d'abord, mais aussi de m'éloigner de toute cette chaleur. Quand même, ça ne se fait pas de donner chaud à une fille avec un simple regard !
À la fin des cours, Haron vient me récupérer au volant de sa BMW qui attire tous les regards. Plusieurs filles ont tiqué en le voyant, si seulement elles savaient que mon frère aime les garçons... je ricane en mettant une main devant ma bouche pour ne pas faire trop de bruit, et il me jette un regard électrique.
- Regarde, c'est la nouvelle, j'entends murmurer quand la voiture passe devant un groupe de jeunes mixte.
Intriguée, je tends l'oreille, les suppliant mentalement de ne pas sortir des méchancetés ou de vacheries à mon égard. Ce que mes oreilles captent me fait rougir mais ce que mes yeux aperçoivent me font frissonner en simultané. La blonde de l'autre soir est présente et me dévisage sans expression. Je crains qu'elle ne me reconnaisse, mais son expression indifférente me laisse penser que cette fois-là, elle n'a pas eu le temps de décrypter mon visage. Peut-être qu'elle fait semblant, pour revenir m'agresser plus tard ?
- Elle est drôlement jolie, commente une de ses amies aux mèches roses, et je fais semblant de ne rien entendre en posant de façon décontractée mon menton dans ma paume.
Et puis, Haron s'offre le plaisir d'accélérer devant les yeux de tous, et le lycée et son lot de complications disparaissent en même temps de mon champ de vision.
La balançoire me projette toujours plus haut, j'ai l'impression de m'envoler, le visage au vent et mes boucles brunes battant contre mes joues rougies par le froid polaire de ce pays. J'exagère un peu quand même. Un peu.
Je me propulse une dernière fois avant d'atterrir brutalement sur mes pieds engoncés dans des chaussons de danse rose aux rubans entourant gracieusement le bas de mes mollets. Fredonnant l'air du lac des cygnes en virevoltant à chaque pas, je ramasse mon sac à main et me dirige vers la boulangerie de l'autre fois et retrouver Esther. Elle a seulement un an de plus que moi, et est la fille du boulanger, elle est en première année de médecine, j'ai appris cela récemment, elle me l'a raconté par message et m'a invitée à la rejoindre ce soir, alors que Luna et ses amis sont partis au bal d'hiver du lycée.
- Par ici, Théa ! elle m'appelle, et je lève la tête, apercevant son visage par une fenêtre quelques étages plus haut.
- J'arrive ! je lui lance.
Elle dresse un pouce en hochant la tête puis disparaît dans la pièce en fermant le battant.
Je commence à monter quelques marches, confiante, serrant mon journal contre mon cœur à travers mon sac pour me donner du courage. Mais toute ma détermination s'efface quand je distingue la silhouette qui arrive droit devant moi, la main posée de façon décontractée sur la rambarde des escaliers. Il repousse ses lunettes en verre glacé sur son nez pour que je ne puisse pas voir ses prunelles et cale un cure-dents entre ses incisives, le faisant rouler entre ses lèvres, comme pour me narguer alors qu'il hausse les sourcils, presque étonné de m'apercevoir sur son chemin.
Je bifurque à droite et m'engouffre dans l'ascenseur, j'appuie le plus vite possible sur l'étage numéro cinq, contemplant en silence son reflet dans le miroir qui me fait face. Les portes se referment, je baisse les yeux sur mes pieds, mais les relève lorsqu'un grincement me fait sursauter.
Le fameux Brian se glisse dans l'ouverture disponible et me fixe à travers ses lunettes de soleil dans le miroir. Soudain, je ne suis plus rien, je tremble, je suis mise à nue. J'ai peur qu'il change d'avis par rapport à la dernière fois.
Il me bouscule d'un coup d'épaules pour appuyer sur le numéro 4, puis s'appuie contre la rambarde métallique pour se donner un genre, je pense, il reste immobile devant moi. Aucun de nous deux n'a prononcé une parole depuis que nous nous sommes croisées, et je me jure que je ne parlerai pas la première. Je vais rester muette. Je n'ai rien à lui dire. Et si c'est le garçon qui a agressé ma nouvelle amie, pas question de dire un mot.
Silence.
Tension.
Nos souffles inconsciemment synchronisés.
Il ouvre les lèvres, faisant glisser le petit bout de bois du côté de ses molaires afin de pouvoir parler distinctement.
En attendant, je le détaille de haut en bas. Sweat-shirt noir négligeant sa carrure imposante, jean élimé volontairement aux genoux, fausse posture décontractée, air crispé. Il fait rouler le cure-dents une nouvelle fois sur sa langue, me regarde d'un air électrisant.
Peur.
Crainte.
Puis il me parle, et mon cœur lâche littéralement un battement.
- Salut.
Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.