Chapitre 15 : Pas de câlin ou je vais chialer.

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Ça faisait l'effet de voir sa vie défiler juste avant de mourir. Comme si la scène se jouait au ralenti pour que Giulia puisse voir avec précision à quel point elle lui faisait mal. Le café encore brûlant se déversa sur les baskets blanches de Magda et comme sur son cœur, l'empreinte sale du drame imminent se propagea sur le tissu. Giulia et Émilie l'observaient comme des cambrioleurs qui entendraient la sirène d'une voiture de flic. Pendant une seconde, aucune des trois femmes ne bougea. On se serait attendu à des cris, des larmes, des sanglots et des vagues à l'âme, l'audace d'un drame hollywoodien. Mais rien. Et après ce qui sembla durer une éternité, Magda baissa les yeux sur les trois gobelets gisant sur le sol et elle se dit qu'elles devaient à peu près ressembler à ça en cet instant. Assassinant le silence, comme un personnage dessiné qui prenait subitement vie, elle se racla la gorge et déclara d'une voix un peu chancelante :

- Je vous laisserai nettoyer ça.

Et sans un mot de plus, elle tourna les talons et sortit du bureau. C'est à ce moment-là que Giulia sembla se remettre en mouvement comme si elle réalisait subitement la situation. La situation qui était la suivante : elle venait d'embrasser son ex-femme, brisant ainsi le cœur de l'amour de sa vie. Elle se leva non sans peine, les jambes en coton et poursuivit Magda, manquant de chuter au passage. Émilie la regarda sortir, les yeux écarquillés, le visage figé parce que revenir sur terre était encore trop dangereux pour sa santé mentale. Elle refit le fil de ce qui venait de se passer. Laquelle des deux avait embrassé l'autre ? Impossible à dire. Émilie avait seulement senti les lèvres de Giulia sur les siennes, ni plus, ni moins. Elle n'était pas foutue d'en dire davantage, comme si elle était le seul témoin d'un crime mais qu'elle n'avait rien vu parce qu'il faisait trop noir. Elle oubliait seulement que bien plus qu'un témoin, du crime, elle était complice.

Giulia entra dans leur chambre et trouva une Magda extatique qui fourrait quelques fringues choisies au hasard dans un sac de sport. Ce qui frappa le plus l'italienne fut l'impassibilité de la plus jeune. Il y avait de l'électricité dans l'air mais c'était comme si la russe passait à travers les éclairs.

- Magda... murmura Giulia, incertaine, vulnérable sans oser trop entrer dans la chambre.

- Da ? répondit simplement la plus jeune.

Pas une seule once de colère dans sa voix, pas de tristesse ni de chagrin, encore moins de reproche, rien. Seulement la voix et l'accent slave.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- J'ai besoin d'une pause, lâcha-t-elle et c'était comme une guillotine aiguisée à souhait qui venait de trancher la tête de la dame.

Giulia eut un souffle au cœur et dû se tenir à la poignée de la porte pour ne pas tomber. D'une démarche malhabile elle traversa la pièce et s'assit sur le lit en observant toujours sa femme s'activer. Son esprit pragmatique fut rassuré de voir qu'elle ne ressemblait que très peu d'affaires. Deux pantalons, trois t-shirts, quelques sous-vêtements, pas grand-chose de plus. D'un autre côté, elle ne se souvenait que trop bien que lorsqu'elle avait rencontré Magda, sa vie entière ne tenait que dans un sac de sport. Tel était le lot des baroudeurs sans maison. Devait-elle croire que la sorcière blessée ne garderait de leur vie ensemble qu'un sac de sport à peine rempli ? La brune immobile sur le lit fut surprise de sentir des larmes couler sur ses joues alors qu'elle n'avait même pas encore cligné des yeux.

- Laisse-moi t'expliquer, ça ne voulait rien dire, murmura-t-elle faiblement parce que c'était une réplique toute faîte.

- Je sais, Giulia. Mais j'ai besoin de réfléchir, répondit l'autre avec un calme révoltant en zippant la fermeture éclair de son sac.

32° FahrenheitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant