Chapitre 2 - Rosin-Requin

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Le doux clapotis des vagues qui venait lécher ses pieds nus apaisait son esprit. Une légère brise agitait les pans de son pantalon de lin qu'il avait retroussé sur ses mollets pour ne pas le mouiller et défit l'un des nœuds qui maintenait le tissu hors de l'eau. La jambe gauche de son pantalon traîna dans l'écume d'une vague avant d'être mouillé par la deuxième. L'eau était loin d'être chaude et chaque centimètre de sa peau y étant entrée en contact le picotait, comme percée par des centaines de minuscules aiguilles. Cela ne le dérangeait guère, cette plage de galets gris et blancs était l'un des lieux les plus chers à son cœur. La plante de ses pieds était si habituée à se transbahuter sur les pierres incertaines et irrégulières qu'elle était devenue insensible à la douleur. Il y régnait un calme presque irréel où les bruits des roulis des vagues n'étaient interrompus que par quelques cris de mouette et de goélands.

— Waouh ! Sept rebonds, je m'améliore ! s'écria Océan-Orque à une dizaine de mètres de lui.

Le silence était aussi cadencé des victoires et défaites de son meilleur ami qui s'évertuait à faire ricocher des galets sur la surface perpétuellement en mouvement de la mer. Il était loin de posséder le talent naturel du père de Rosin-Requin, capable d'effectuer plus d'une vingtaine de ricochets d'affilé, mais sa détermination sans failles le faisait s'améliorer constamment. Océan-Orque ne semblait pas connaître le mot « abandon ». Le jeune homme sourit, c'était bien pour cela qu'ils s'entendaient aussi bien. Comme les animaux desquels ils tiraient leurs noms, ils étaient incapables de baisser les bras. Les requins et les orques n'avaient pas acquis la réputation qu'ils avaient en faisant demi-tour à la moindre petite inconvenance. Cette pensée le fit se retourner afin d'observer le majestueux phare qui protégeait la côte de la capitale. Haut de plus de cent mètres, construit dans une architecture délicate mais extrêmement solide, la bâtisse dominait les environs de son imposante stature. Même les plus tempétueuses des vagues n'arrivaient à atteindre son sommet et la flamme qui éclairait les côtes rocheuses de Le Lagon ne s'éteignait jamais. Rosin-Requin était bien placé pour le savoir, il avait lui-même assisté son père à raviver les flammes mourantes avec du bois bien sec et de l'alcool si fort dont une gorgée aurait envoyé un habitué des tavernes rouler sous la table. Le jeune homme avait toujours détesté les interminables quatre cent cinquante-trois marches à gravir pour déboucher au sommet du phare. Détesté l'espace étriqué et sans fenêtres, loin de toute lumière naturelle. Détesté l'odeur d'huile des lampes qui tapissaient les murs du phare. Il avait beau être magnifique et doté d'une histoire qui faisait partie de sa famille depuis des générations, Rosin-Requin refusait d'être celui qui devait s'en occuper. Océan-Orque devina les pensées qui tourbillonnaient sous son crâne.

— Crois-tu que tes parents essayeront encore de te faire changer d'avis ?

— Oui, j'en suis sûr. Mon père par refus de briser les traditions qui nous enchaînent et ma mère car elle est trop inquiète pour moi et préférerait me garder à l'œil dans cette tour.

Son ami ricana avant de soupeser un galet pour le lancer à l'eau.

— Pourtant te voilà en passe de marquer l'histoire, piratueur.

— Arrête avec ce surnom, soupira Rosin-Requin, je ne le mérite pas.

— Tu as déjà tué quatre pirates alors que nous ne sommes même pas adoubés et que nous n'avons pas quitté notre base d'entraînement. C'est assez impressionnant.

— Pirates affamés et enfermés dans une prison depuis trois semaines.

Océan-Orque lui jeta le galet qu'il voulait faire ricocher sur la surface scintillante de la mer. Le projectile l'atteint au milieu du flanc et tira une grimace au jeune homme.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant