Chapitre 15 - Océan-Orque

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En plus du ridicule que causait sa tenue d'apparat, elle était inconfortable. Le col, serré bien trop près de son cou, lui donnait l'air d'un bébé armé d'un biberon. Le tissu, pourtant d'une qualité incomparable selon le modéliste familial, ne cessait de l'irriter. Océan-Orque ne rêvait que d'une seule chose : arracher cette stupide veste et se gratter le cou jusqu'à ce que sa peau devienne écarlate. Cependant, le roi n'allait pas tarder à débarquer dans la cour du fort et il préférait un extrême inconfort à un mauvais regard du roi. L'équipage du Rédempteur était soigneusement aligné, dos bien droit. Le fort de Le Lagon, qui abritait la base de la marine royale, était silencieux. Si silencieux qu'Océan-Orque entendait les mouches voler et que cela l'agaçait. L'inaction, l'attente inutile et sempiternelle le démangeait autant que le tissu qui enserrait son cou. Son corps tout entier était parcouru de picotements semblable à ceux des fourmis rouges, d'horribles insectes à peine plus grands d'un ongle d'enfant qui secrétaient un venin qui brûlait la peau de ceux qui les touchaient. L'un des plus vieux souvenirs d'Océan-Orque était d'être tombé dans une fourmilière de ces animaux infects lorsqu'il jouait au chevalier. Le monticule de terre lui avait apparu comme une montagne à perdre d'assaut pour vaincre le serpent des mers et regagnait le cœur du prince. Malheureusement, comme son imagination s'était estompé, il ne restait plus que des centaines de piqûres rougeâtres sur l'ensemble de son corps. Le petit garçon n'avait pas supporté de porter le moindre vêtement pendant quatre jours. Océan-Orque tira de nouveau sur son col dans l'espoir de l'élargir, sans grand succès.

— Arrête avec ça, le rouspéta Nahel-Narval en lui assénant un coup de coude dans le flanc. Je ne fais que frotter le tissu contre ta peau et ça aggrave tes inflammations.

Océan-Orque leva les yeux au ciel et fit tout un spectacle de lâcher son col avec théâtralité. Le coin des lèvres de Nahel-Narval se souleva tandis qu'il tentait de camoufler son amusement.

— Je déteste les habits nobiliaires, se lamenta Océan-Orque pour la énième fois de la matinée.

Au lieu du soupir faussement agacé dont Nahel-Narval le gratifiait, il eut un sourire canaille qui fit rougir les oreilles d'Océan-Orque avant même qu'il n'ouvre la bouche.

— Je me ferais un plaisir de te les enlever tout à l'heure.

Le jeune homme détourna le regard alors que Nahel-Narval riait sous cape et que Rosin-Requin faisait mine de ne pas avoir espionné leur échange. Mais les yeux de son ami pétillaient trop de malice pour avoir gardé son ouïe auprès de lui. Océan-Orque lui pinça le dos de la main.

— Je vais te percer les tympans si tu continues à écouter mes conversations.

— Ne me prive pas de ce petit bonheur, répliqua Rosin-Requin qui regardait toujours devant lui sans que son visage trahisse son badinage. C'est impressionnant comment ta personnalité suave fond dès que tu adresses la parole à un homme.

— Ce qui est admirable, c'est ton caractère aussi agréable qu'une porte de prison.

— Malheureusement, je crains qu'il n'ait raison, ajouta Nahel-Narval alors que Rosin-Requin grimaçait. Je crois bien que c'est la première fois que je t'entends blaguer. Je ne savais pas que tu connaissais l'existence de ce concept.

Océan-Orque s'étrangla de rire si bien qu'il avala sa salive de travers. Au moins, ses quintes de toux dissimulaient une hilarité qui lui aurait coûté une sévère réprimande de ses supérieurs. La mine de Rosin-Requin s'était assombrie plus vite que le temps lors des saisons des tempêtes ce qui redoubla la jubilation de son ami. Nahel-Narval souriait toujours mais il couvait le piratueur d'un regard inquiet, comme s'il avait peur de l'avoir blessé. Rosin-Requin s'empressa de lui dire qu'il n'était pas vexé, que ce n'était pas grave. Rien qui arrangeait le fou rire d'Océan-Orque qui se pliait presque en deux.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant