Chapitre 17 - Rosin-Requin

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Malgré le vent et la pluie, le moral de Rosin-Requin était au beau fixe. Perché sur le beaupré, il observait le Scylla. Le bateau pirate était certes plus léger que le Rédempteur, mais l'équipage de la marine royale était plus nombreux. Cela permettait une meilleure manipulation des voiles qui captaient le maximum des rafales. Le Rédempteur filait à toute allure, serpentant sans peur entre les rochers escarpés de ce cimetière marin dans lequel le Scylla l'avait attiré. Le jeune homme devait reconnaître que la navigatrice pirate était douée, aucun officier ne s'était rendu compte qu'elle les menait dans cette zone tristement célèbre des mers méséenes. Des débris rocheux et des pics tapissaient le paysage – ruines d'une minuscule île détruite lors de la fureur de Rorqual – et formaient l'un des passages les plus dangereux du royaume. Nombreux étaient les vaisseaux qui avaient sombré dans ces eaux, coques éraflées par des rochers et des manœuvres douteuses. Tant d'épaves jonchaient le sol marin que le sable n'était plus visible. Selon l'une des légendes que les pêcheurs faisaient vivre de génération en génération, les âmes tourmentées des pirates ayant coulé dans ce cimetière étaient prisonnières des lieux. Les équipages de l'Aspidochélon et du Céto s'alliaient contre les vivants pour les entraîner dans les abysses et les condamner à la même existence lugubre. Rosin-Requin n'y croyait pas une seule seconde, mais il devait avouer que le lieu se prêtait bien à de telles légendes. Les clapotis des vagues causaient par le déplacement des bateaux se transformaient en murmures. Dans le brouillard, des visages se dessinaient sur les pics rocheux. À travers la pluie, on pouvait presque distinguer des silhouettes de pirates déchargés, leurs peaux pourrissants sur leurs os recouverts de balanes. Un frisson courut sur l'échine de Rosin-Requin. Son instinct lui hurlait de se méfier des pirates du Scylla, qu'il n'allait pas aimer ce qu'il allait découvrir. Il réfrénait cette voix qui lui vrillait les tympans. L'équipage du Scyllaavait beau avoir un impressionnant palmarès de destruction et l'aide d'une sirène meurtrière capable de s'infiltrer dans l'esprit de n'importe quel homme, elles n'étaient pas le Charybde. Rosin-Requin méritait enfin son terrible surnom de piratueur. Le Scylla n'avait aucune chance.

La poupe du navire adversaire était presque invisible dans le brouillard et la pluie, les pirates allaient utiliser le temps capricieux à leur avantage. Ce n'était pas bien grave, eux aussi savaient jouer avec les éléments. Le jeune homme sourit. Il était heureux d'avoir un nouvel défi, une nouvelle proie à se mettre sous la dent après la capture d'Hippolyte-Hydre. Il repoussait encore et encore le moment où il allait devoir affronter la dure vérité en face : la plus grande partie de sa motivation à chasser les pirates avait disparu avec sa victoire face au ravisseur de Clélie-Corail. Rosin-Requin se jetait corps et âme dans la poursuite du Scylla pour éviter de penser à ce qu'il évitait adroitement depuis désormais huit ans.

Depuis le nid-de-pie, Kelton-Koï hurla que la poupe du Scylla était visible. Rosin-Requin eut à peine le temps de se boucher les oreilles avant que les déflagrations des canons ne percent l'atmosphère sépulcrale. Des cris féminins retentirent, pas de canons adverses. Le jeune homme sauta sur le pont. Elles devaient tous miser sur la fuite à travers ce dédale mortel. La navigatrice du Scylla était réputée pour être la meilleure du royaume, si quelqu'un savait extirper un navire de ce piège mortel tout en poussant un poursuivant au naufrage, c'était elle. Les veines de Rosin-Requin étaient parcourues d'adrénaline à l'idée de pouvoir affronter une telle stratège. Le jeune homme se hissa au sommet du nid-de-pie aux côtés d'un Kelton-Koï extrêmement surpris. Il fut surpris une fois de plus par les traits juvéniles de l'officier. Kelton-Koï avait à peine seize ans, il ne devrait même pas être sur ce bateau mais posséder le nom de famille des Baleiniers garantissait un certain nombre de privilège. Les Baleiniers, de par le rôle qu'il leur avait été confié par les premiers rois de Meisea, rejoignaient les rangs de la marine royale bien plus tôt que les autres nobles. Kelton-Koï n'était pas mauvais, loin de là au contraire, mais sa jeunesse se relevait être un défaut important. Rosin-Requin craignait que cela ne lui coûte sa vie. Le Scylla se dégageait de la brume. Ses voiles étaient pliées de sorte à garder un maximum de maniabilité, au détriment de la vitesse. De là, le jeune homme voyait les pirates courir sur le pont. Elles se préparaient à l'assaut imminent. L'une d'entre elles fixa le Rédempteur en nouant un bandeau sur son visage. L'intérêt de Rosin-Requin était piqué. La pirate disparut de sa vue et on l'appela sur le pont.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant