Ses doigts caressaient la couverture lisse de son carnet quand la porte de sa suite s'ouvrit à la volée. La bulle de calme dans laquelle elle baignait vola en éclats. Avec un soupir, Marlise-Méduse releva la tête et plongea son regard dans le miroir délicatement ouvragé qui surplombait sa coiffeuse. Ce somptueux miroir lui avait été offert lors de ces noces avec le prince. Un cadeau d'un énième noble qui souhaitait gagner les faveurs de la nouvelle princesse de Meisea. Marlise-Méduse était forcée de reconnaître la féerie de l'objet : le cadre qui soutenait la plaque de mercure et de verre était entièrement fait de nacre. Le nacre avait été taillé afin de représenter des vagues écumantes, desquelles émergeaient parfois des nageoires de Baleines Bleues ainsi que des ombrelles de méduse. C'était un véritable chef-d'œuvre, un poème qui aurait pris forme physique. La jeune femme avait oublié qui lui avait offert, bien qu'elle en fît usage chaque jour depuis son déménagement au palais royal. Un visage aux lourds sourcils se dessina soudain dans la glace. Son époux venait d'entrer dans l'intimité de sa chambre.
— Vous êtes contrariés très cher, que se passe-t-il donc ? s'enquit Marlise-Méduse en ouvrant l'une de ses boîtes à bijoux.
Valentin-Vive ne répond point et s'avança vers elle jusqu'à se laisser tomber sur le cabriolet lilas qui gisait, vide, derrière sa coiffeuse. Elle le distinguait toujours dans le miroir.
— Je me transforme sans cesse en corbeau blanc ces derniers temps, je ne suis annonciateur que de mauvaises nouvelles et cela me rend malade ! Vous ne devriez pas à subir tout cela.
Se demandant à peine ce qu'il avait pu bien se passer, son époux était d'une théâtralité telle que s'il était né roturier, il aurait fait fureur en tant qu'acteur. Marlise-Méduse opta pour une paire de boucles d'oreilles pendantes faites de cristal bleu qui donnait l'impression qu'elles avaient été ciselées dans de l'eau de mer.
— Très bon choix, Madame, lui chuchota Geneviève, sa femme de chambre.
Marlise-Méduse lui rendit un simple sourire qui, elle l'espérait, transmettait ses sentiments. Son époux n'aimait guère qu'elle prête plus d'attention à ses domestiques qu'à lui lorsqu'elle était en sa présence.
— Vous n'êtes pas un corbeau blanc, le rassura-t-elle, les mauvaises nouvelles ne sont pas de votre fait, ni de votre choix. Dites-moi donc ce qui vous tourmente.
— Le navire de votre père a été attaqué par un vaisseau pirate.
La jeune femme leva un sourcil. Cela arrivait assez souvent. La cargaison avait dû être perdue pour susciter un tel état d'âme chez Valentin-Vive.
— Pourrais-je savoir lequel ?
— Le Vivace, maugréa-t-il. Sa carcasse repose au fond de l'eau et on déplore une vingtaine de victimes et encore plus de blessés. L'ensemble de la cargaison a été emporté par les pirates.
Le reflet renvoyait par la glace montrait un homme avachi dans un fauteuil trop petit pour lui, les genoux plus hauts que le nombril, un bras en travers des yeux. Oui, si un jour le prince héritier de Meisea se retrouvait ruiné, une carrière dans le théâtre pourrait le sauver. Marlise-Méduse repoussa sa chaise de velours de sa coiffeuse et se leva pour observer son époux.
— Très cher, ce n'est pas parce que le vaisseau qui a été nommé en votre honneur a sombré que vous allez le suivre. Vous n'êtes pas de simples planches de bois assemblées en un savant ouvrage, vous êtes un être de chair et de sang. Cette défaite ne signe pas la vôtre. Les navires de mon père sont la cible perpétuelle des voleurs marins, le Vivace n'allait pas en faire exception. Les pirates se moquent de la couronne, ils ne cherchent votre respect. Ce nom n'allait guère le protéger.
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Les Os des Baleines Bleues
FantasíaLe royaume de Meisea est gouverné par les mers, les pirates en font leur terrain de jeu. Lorsque le Scylla, navire à l'équipage composée uniquement de femmes, reçoit une proposition très intéressante : dérober les reliques appartenant aux dieux Bale...