Chapitre 10 - Bethsabée

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Dès qu'une dizaine de minutes s'écoulait, elle ressentait le besoin urgent de se lever et de s'activer. Rester immobile faisait courir des fourmis sous sa peau et la couvrait de taches rougeâtres. Le sable fin était confortable, le soleil qui dorait sa peau, agréable. Mais elle ne pouvait pas piquer un somme en plein milieu de l'après-midi. Bethsabée ouvrit les yeux et se leva d'un seul coup, si bien qu'elle fit sursauter les deux filles qui s'étaient étalées à ses côtés. Morgane lui décocha un geste grossier mais Nina ne sortit même pas de ses songes. L'île de l'Aileron était déserte. Pas un seul navire n'y mouillait à l'exception du Scylla. Cette paix et cette béatitude n'avait pas été ressentie par l'équipage depuis quelques années. L'île de l'Aileron était devenue un repaire prisé par les contrebandiers maritimes qui étaient passés maître dans l'art de prédire ses divagations. Ce qui était autrefois un havre de repos pour les pirates recherchés s'était transformé en une ville de canailles et de meurtriers. Heureusement, la meilleure de navigatrice de Meisea avait établi refuge dans son vaisseau. Clélie ne se trompait jamais dans ses calculs et parvenait sans cesse à trouver le trajet emprunté par l'île mouvante. La jeune femme lui avait précisé qu'avec les tempêtes récents qui s'étaient déchaînées au milieu de l'océan, l'île de l'Aileron allait profiter d'une certaine couverture d'invisibilité. Et elle avait eu raison, les seuls habitants temporaires de ce paradis méséen se composait en tout et pour tout de la dizaine de pirates du Scylla.

Bethsabée quitta la plage. Elle s'enfonçait dans le sable qui s'incrustait entre ses orteils. Elle grimaçait continuellement. La terre ferme n'était définitivement pas faite pour elle. La jeune femme s'assit là où les vagues s'échouaient. L'eau claire venait lécher ses pieds nus. Tiphaine se baignait malgré la fraîcheur de la mer et avait entraîné Paule-Piranha et Édith dans un jeu de son invention. Elle avait ramassé une noix de coco, qu'elle avait évidé pour en boire le lait, et avait décidé qu'il serait amusant de se faire des passes avec. Les trois femmes sautaient dans l'eau pour essayer de ne pas faire tomber le fruit dans les vagues, sans grand succès. La plus douée des trois était Édith, ce qui n'étonnait personne. Elle leur avait raconté qu'elle passait ses soirées à jouer au ballon avec ses deux fils et que la compétitivité était de famille. Une vague plus grosse que les autres la poussa à la renverse et Bethsabée se retrouva sous l'eau avec un grognement. Trempée, elle était trempée. Un paquet de sable s'était fiché au milieu de son monosourcil. Les hurlements de rire de Tiphaine et de Paule-Piranha ne l'aidèrent pas à reprendre son calme. Bethsabée se releva et se jeta dans l'eau, ignorant la morsure du froid qui lui transperça la poitrine, et se précipita vers Paule-Piranha pour la tacler et lui faire manger du sel et du sable. Sa cuisinière riait tellement qu'elle n'essayait même pas de se défendre. Quand les deux émergèrent des vagues, Tiphaine s'écria :

— La majestueuse Bethsabée, capitaine pirate de légende, terrassée par une vaguelette !

— Paix à son âme, ajouta Édith qui mina s'essuyer des larmes de tristesse alors qu'elle lui avait déjà avoué que si sa capitaine venait à mourir, elle ne la pleurerait pas.

Avant que Bethsabée ne puisse trouver une remarque bien sentie à leur balancer, une voix désincarnée leur coupa la parole.

— Son âme est incapable de connaître la paix.

Une chevelure châtain se matérialisa au milieu de nulle part. Une sirène aux expressions trop humaine s'était invitée sur leur aire de repos. Édith eut un mouvement de recul tout à fait compréhensible. Du sang séché collait aux ongles d'Amaryllis.

— Incapable de se reposer même deux minutes, acquiesça Tiphaine avec un ricanement.

À l'air curieux d'Amaryllis, Bethsabée sut qu'elle allait tenter de reproduire ce son, et elle savait également que cela allait être terrifiant.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant