Chapitre 25 - Océan-Orque

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Bien que les dédales du palais lui soient de plus en plus familiers, la frénésie inouïe qui s'était emparée du lieu lui brouillait tous ses repères. Les domestiques couraient comme un banc de poissons sous l'attaque d'un prédateur. On criait pour se faire entendre. Des plateaux étaient transportés à bout de bras, des caisses remplies de soieries et de bijoux étaient soulevés. Océan-Orque se décala vers la gauche afin de laisser une nuée de jeunes femmes armée d'une gigantesque tapisserie passer. Leurs front suaient sous l'effort mais le jeune homme ne fit pas l'affront de leur proposer de l'aide. Se faisant, il ne provoquerait que du chaos dans une machine bien huilée, qui n'avait pas besoin d'anicroche lors d'une journée si importante. Le jeune homme tira sur le col de son veston. Il montait jusqu'à enserrer sa gorge et lui donnait l'impression de suffoquer. Le tissu soyeux de son habit d'apparat lui grattait la peau et le démangeait. Si Océan-Orque n'avait pas peur des menaces de la future reine, il se serait déshabillé depuis longtemps pour revêtir une tenue bien plus confortable. Mais, un regard furieux de la souveraine et le jeune homme avait abandonné toute idée de rébellion. Nahel-Narval avait ri aux éclats lorsque son amant, penaud, lui avait décrit la situation.

Océan-Orque se rendit jusqu'aux appartements royaux, où la cacophonie était plus présente, et l'excitation plus palpable. Les portes de la suite de Mahé-Manta étaient grandes ouvertes, alors que les domestiques entraient et sortaient pour rendre le couronnement merveilleux. Le jeune homme s'y glissa et repéra vite le roi, dévêtu de sa couronne qui reposait sur sa coiffeuse. Il observait l'escalier de pierre qui menait au palais, envahi par une foule disparate et immense. Nobles et petites gens s'y bousculaient, tous vêtus de leurs plus beaux atours, avec des sourires aux lèvres et des rêves pleins la tête. Des rides se creusaient au coin de ses yeux tandis qu'il les regardait, ceux qu'il pouvait appeler son peuple pour la dernière journée de sa vie. Dans quelques heures, il confierait ce peuple à une jeune femme qui en prenait le plus grand soin. Océan-Orque se racla la gorge pour sortir le roi de sa contemplation nostalgique.

— Votre Altesse Royale, la future souveraine demande à ce que son conseil se réunisse une dernière fois avant la cérémonie. Je crains que ses nerfs ne soient en feu.

— Je ne peux que la comprendre, rit doucement Mahé-Manta en se levant, lors de mon couronnement, je n'étais qu'à quelques doigts de m'évaporer sous la pression. Alors être à sa place, la première femme à recevoir la couronne...

— Vous savez autant que moi qu'elle a les épaules pour diriger ce royaume, elle a juste besoin de confiance et de soutien en ce jour fatidique.

À ces mots, le roi acquiesça et se laissa guider dans le chaos par un Océan-Orque qui agitait les bras pour qu'on leur fasse de la place. La salle du conseil était toujours aussi austère, mais il y avait de la chaleur dans les rires qui s'en dégageaient. Sans surprise, Clélie-Corail y était déjà installée, perchée sur le dossier d'une des chaises, elle discutait avec Geneviève des tenues farfelues dont les nobles raffolaient en ce moment. Des tenues criantes de privilège, car il était presque impossible de se déplacer dans les rues de Le Lagon lorsqu'on les portait. Nemo-Nautile, accompagné de ses fils (dont il était le portrait craché) parlait du phare tout en couvant Marlise-Méduse d'un regard inquiet. Cette dernière se tordait les mains de nervosité avec tant de force qu'Océan-Orque eut peur qu'elle ne se brise les phalanges. À l'arrivée du roi, tous firent la révérence à l'exception de la princesse qui était trop stressée pour remarquer sa présence.

— Quel étrange tableau vous faites ! déclara Mahé-Manta alors qu'il embrassait la salle du regard.

Le jeune homme eut un rictus amusé. Le roi n'avait pas tort. Depuis la révélation du Puits, comme les historiens l'appelaient déjà, Clélie-Corail et Rosin-Requin avaient délaissé la mode mésenne actuelle pour ne se vêtir que d'habits datant des temps anciens et reculés. Océan-Orque devait admettre qu'ils semblaient bien plus confortables que les engins de torture qu'on le forçait à enfiler. Pour le couronnement, les deux dieux portaient des tenues d'apparat ornées de motifs délicats et de couleurs vives et joyeuses. Rorqual en turquoise, et Cymopolée en noisette. La jeune femme avait natté sa chevelure en nœuds bantu, ce qui dégageait sa nuque et renforçait son allure de déesse. Geneviève avait refusé d'emprunter les robes à crinoline de la princesse et était vêtue d'une robe bien plus simple, bien que de meilleure qualité de ses habits habituels. Marlise-Méduse, quant à elle, était resplendissante dans une robe aussi bleue que les abysses à la dentelle aussi blanche et délicate que l'écume. Quelqu'un avait tressé ses cheveux en une natte complexe qui faisait ressortir la finesse de ses traits. Mais son expression était aussi tempétueuse qu'un orage.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant