Chapitre 13 - Amaryllis

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La distance qui la séparait de l'entrée du temple ne lui inspirait pas confiance. Le terrain avait beau être sableux et plat, parfait pour qu'elle puisse ramper, les mètres semblaient s'allonger à l'infini. Amaryllis déglutit. Sabée lui avait interdit de revêtir sa forme humaine sous laquelle elle était plus vulnérable. Le commun des mortels ignorait peut-être que les sirènes dotées de jambes perdaient leurs pouvoirs, mais pas les prêtresses de Cymopolée. Surtout pas les prêtresses de ce temple. Cet endroit était mythique, connu de tous les habitants du royaume, même de ceux qui vivaient sous les vagues. D'ici, Amaryllis pouvait contempler les coquillages incrustés dans les murs du temple. Il en était si bien recouvert que les murs eux-mêmes semblaient bâtis en coquillage. La beauté du lieu lui donnait envie de détaler. Seuls les humains les plus intelligents, les plus talentueux étaient capables de prouesse pareille. Cela ne lui évoquait pas de très grandes chances de réussite. Mais Sabée comptait sur elle et elle ne pouvait pas l'abandonner. Sa dette avait beau être payée depuis longtemps, elle était incapable de refuser quoi que ce soit à la capitaine.

Amaryllis se hissa sur le sable et se servit de ses avant-bras pour ramper. L'humiliation fit rosir ses joues. La perle était nouée à ses cheveux, elle n'avait qu'à l'attraper et la honte s'envolerait. La sirène secoua la tête. Non, non, non. Elle l'avait promis à Sabée. Elle ramperait, aussi vulnérable et pathétique qu'un bébé tortue, jusqu'au temple. Les grains de sable lui picotaient la peau. Ils s'infiltraient dans ses branchies et la faisaient tousser. Amaryllis s'efforçait de calmer sa quinte de toux, sans quoi elle serait sûre de se faire repérer dès qu'elle poserait une nageoire dans le temple. Une litanie de jurons, tous appris de Sabée, quittait ses lèvres d'un flot continu tandis qu'elle se traînait. Ses avant-bras brûlaient sous l'effort. Ils n'avaient pas l'habitude de tracter autant de poids. Sa seule salvation était le temps frais d'une aube nuageuse qui l'empêchait de se dessécher. Il ne manquerait que ça, qu'elle meure misérablement sur une plage à une centaine de mètres de l'océan. Abysse ne lui pardonnerait jamais une telle faiblesse. Mais peut-être qu'Abysse ne lui pardonnerait jamais, tout court.

Quand son ventre entra en contact avec les coquillages collés sur le sol, Amaryllis soupira d'aise. La mer l'appelait, paisible et éternelle. Sa délivrance était proche, elle la sentait chanter pour elle. Ses griffes cliquetaient sur les palourdes, les bulots, des lambis et des ormeaux. Les temples de Cymopolée étaient comblés de bassins, de divers tailles et formes, dont les usages lui étaient inconnus. Tout ce qui importait à Amaryllis était de pouvoir s'y glisser et de s'y camoufler, assez longtemps pour aider l'équipage de Sabée. Le bassin qu'elle dénicha était en forme d'alcôve octogonale qui rappelait à la sirène les poulpes transparents des profondeurs. L'eau était aussi claire que du cristal, mais sa surface perpétuellement en remous en faisait une excellente cachette. Le lieu était d'un silence comme ceux qu'on ne trouvait qu'aux abysses, alors Amaryllis en profita pour observer le temple. L'intérieur était comme l'extérieur : décoré de centaines de milliers de coquillages, suspendus sur les murs. L'eau des bassins se reflétait sur les coques des petits animaux et créaient des miroitements tels qu'Amaryllis aurait pu se penser sous l'eau. La salle où elle se situait être déserte, à peine ornée d'un autel taillé dans du marbre bleu chatoyant sur lequel était déposé différentes offrandes. Les humains compliquaient tellement la foi, songea la sirène. Ils bâtissaient des lieux, des merveilles, des autels, des croyances et des rites afin de consolider leur foi, de l'envelopper dans des coutumes et des dogmes. Amaryllis croyait aux dieux. Elle savait, aussi sûrement qu'elle savait nager, que son existence était un cadeau de Rorqual. Elle ne priait plus depuis longtemps, depuis la mort d'Abysse, mais elle ne pouvait renier la réalité des dieux. Même là encore, humains et sirènes se divisaient, comme si chacun de leurs points communs devaient être disséqués pour qu'on se rende compte que, finalement, ces points communs ne sont que des divergences de plus. Perdue dans ses réflexions et sa contemplation chantante, Amaryllis avait oublié qu'elle était censée devenir invisible.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant