Quelque part dans une partie inexplorée des eaux infinies

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Les étoiles se reflétaient sur la mer calme, un court moment d'accalmie en cette pleine saison des tempêtes. Le petit catamaran dérivait au gré des courants, troublant la surface de l'eau avec des arabesques qui faisaient glousser Onésime-Oursin. Chaque fois que Clélie-Corail entendait ce son, elle sentait son cœur se gonflait de joie. Son petit frère était penché sur l'un des flotteurs, complètement à la renverse, et laissait traîner ses petites mains dans l'océan sombre. La lueur de la lune donnait à sa peau noire des reflets nacrés. Il ressemblait à une perle. Avec ses grands yeux turquoise et ses cheveux nattés en nœuds bantus, Onésime-Oursin aurait pu être son fils. Il partageait tous les traits de son visage, jusqu'à sa posture et son amour infini pour la mer. Le petit chenapan échappait sans cesse à leur surveillance pour se lancer dans les vagues aussi hautes que des manoirs avec des cris de joie qui attiraient les orques et les narvals. Plus d'une fois, Cymopolée avait été obligée de fixer les vagues, de stopper l'océan d'onduler, afin de sauver son petit frère de la noyade. Mais Onésime-Oursin persistait à nager, par tous les temps, toutes les vagues. Clélie-Corail s'épuisait à lui courir après. Son compagnon ne lui était d'aucune aide, il lui riait au nez en lui rappelait par quelles tempêtes, elle fuyait la demeure des Contre-Courants pour le rejoindre sur la plage. Onésime-Oursin était simplement comme elle, et c'était épuisant. L'éclat des yeux de son frère, ainsi que l'écho de ses gloussements qui résonnaient toujours dans son esprit, Clélie-Corail se pencha vers lui et lui embrassa le front. Le petit garçon fondit sous son contact et leva les bras.

— Tu ne deviens pas un peu grand pour que je te porte ?

— Si tu peux arrêter les vagues, tu peux me porter.

Devant la logique imparable d'un enfant de cinq ans (et demi !), la grande Cymopolée s'inclina et souleva Onésime-Oursin dans le creux de ses bras. Sa peau douce avait encore l'odeur de l'enfance et la jeune femme pressa un autre baiser dans ses cheveux. Tous deux, ils observèrent la mer onduler, l'âme aussi calme que le spectacle devant eux.

— Où est Rosin ? demanda le petit garçon, qui s'impatientait de ne pas revoir revenir celui qu'il considérait désormais comme son idole.

— Il est parti nager, mon ange.

— Je veux le voir, bouda Onésime-Oursin qui se tortilla dans les bras de sa sœur.

La jeune femme sourit. Elle connaissait le moyen le plus efficace de ramener Rorqual à leur catamaran sans même hausser la voix.

— Tu veux l'appeler ? chuchota-t-elle, comme une conspiration.

Son petit frère battit des mains, les yeux brillant de la même malice contenue dans le sourire de la déesse. Cymopolée retira les chaussures d'Onésime-Oursin et retira sa chemise. Elle se débarrassa de ses sandales qui valsèrent à l'autre bout du bateau. Les deux se regardèrent avant de sauter à l'eau. Clélie-Corail, un plongeon parfait qui ne créa pas la moindre éclaboussure et Onésime-Oursin, une belle bombe dont sa sœur sentit les remous même sous l'eau. Les deux n'eurent qu'à esquisser quelques brasses avant que la silhouette colossale d'une Baleine Bleue se profile sous eux. Le petit garçon cria de joie lorsque Rorqual perça la surface de l'eau. Il chuta sur les fesses, sur le dos de la Baleine Bleue qui fit semblant de grogner sous l'effort. Clélie-Corail glissa le long de son flanc afin de lui faire face, de la tendresse dans le regard.

— Vous m'avez appelé ? demanda Rosin-Requin.

Lorsqu'il était sous la forme d'une Baleine Bleue, sa voix était plus grave, plus rocailleuse. Une voix aussi vieille que les océans, qui seyait à un dieu.

— Je veux jouer ! s'exclama Onésime-Oursin en levant les bras vers le ciel.

— Alors, on va jouer, rit Rorqual.

Le petit garçon éclata de rire et sauta à l'eau, dans les bras de Cymopolée qui l'attendait. Onésime-Oursin était un excellent nageur pour son âge, mais son inquiétude à son égard semblait parfois aussi large que les eaux infinies. Clélie-Corail l'aida à prendre une grande inspiration avant qu'ils ne s'accrochent à la nageoire de Rorqual. La Baleine Bleue les entraîna vers le fond, à toute vitesse. Les phalanges d'Onésime-Oursin blanchissaient sous l'effort que cela lui demandait, de rester bien agrippées à la nageoire de Rorqual. Cymopolée gardait les yeux grands ouverts. Rorqual se propulsa alors vers le haut, et ils distinguèrent bientôt la lueur de la lune. Des bulles de rires surgirent des lèvres du petit garçon, qui ne réussissait à contenir son excitation. Le dieu Baleine Bleue darda hors de l'eau, aussi haut que le pouvait son corps gargantuesque. Clélie-Corail prit appui sur la nageoire de Rorqual et se projeta encore plus haut, à une quinzaine de mètres de l'océan noir. Onésime-Oursin fit de même, avec des gloussements qui retentissaient sous les étoiles. Leurs deux corps valsèrent sous la voûte céleste, délicates pirouettes et maladroites vrilles, avant de se précipiter à la surface.

Cymopolée savait que lorsqu'Onésime-Oursin referait surface, il demanderait à recommencer. Encore et encore et encore jusqu'à ce qu'il tombe de fatigue. Rosin-Requin reprendrait une apparence humaine et ses cheveux blonds colleraient à son front. Il irait coucher le petit garçon dans son lit, avant de lui prendre la main pour aller nager. Ils nageraient ensemble, seuls au monde dans l'immensité de l'océan qu'ils gouvernaient. Loin des machinations, des combats et des responsabilités. Clélie-Corail savait que Rorqual l'embrasserait autant de fois qu'elle le lui demanderait, et qu'il ne souhaiterait jamais quitter ce catamaran. Elle savait qu'Onésime-Oursin serait élevé par des dieux qui l'aimaient plus que ses propres parents. Elle savait qu'elle était une déesse, et que personne ne lui imposerait plus jamais ses volontés.

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C'est la fin de cette histoire <3

J'espère qu'elle vous a plu et que vous avez aimé la lire comme j'ai aimé l'écrire :)

N'hésitez pas à me laisser vos avis en commentaires !

Love, Loré

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant