Chapitre 20 - Océan-Orque

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Les pieds dans l'eau, le regard vers le nouveau bâtiment qui les attendait, le sang d'Océan-Orque battait dans ses tempes. Le Léviathan était un monstre hideux et immense, sa simple présence aux docks assombrissait le port. La moitié des vaisseaux étaient plongées dans l'obscurité et l'atmosphère, pesant et lourde, était aussi agréable qu'une nuit de canicule. Le bois du navire empestait la cruauté, une cruauté dotée ses dents cassées et ses ongles arrachés. Des traces sombres maculaient le bastingage et le jeune homme était à peu près sûr qu'il s'agissait de sang séché que les anciens propriétaires du bateau n'avaient jamais lavé. Nahel-Narval vint s'asseoir à ses côtés, en tailleur car il détestait avoir les bottes mouillés. Son corps radiait de chaleur et réchauffait Océan-Orque qui se transformait en statue de glace dans l'ombre du Léviathan. Nahel-Narval posa sa main sur son genou, y traçant des cercles de son pouce. Il y mettait un peu trop de force, le jeune homme y trouverait probablement un bleu lorsqu'Océan-Orque se déshabillerait et l'embrasserait afin de se faire pardonner. Océan-Orque remarquait à peine la pression des doigts de Nahel-Narval, trop absorbé dans sa contemplation du Léviathan. Si les noms des pirates qui avaient navigué sur le Léviathan avaient sombré dans l'oubli, personne n'avait oublié leur sauvagerie. Le Léviathan avalait des hommes vivants et n'en recrachaient que les os, des os blancs et nus sur lesquels toute viande avait été avalé sans même être cuite. Les pernicieux et les dépravés s'embarquaient sur cet immense monstre et n'en sortaient que les pieds devant. Le Léviathan n'acceptait ni les mutineries ni les changements de cœur. Il se murmurait que le navire était la personnification des abysses, celles où même Rorqual peinait à asseoir son autorité, et que les corrompus qui montaient à bord se métamorphosaient en démons. Leur humanité, arrachée, devenait la brise qui soufflaient dans les voiles du Léviathan. Les légendes créaient un maëlstrom autour de ce maudit bateau et l'échine d'Océan-Orque était gelée.

— J'ai entendu des pêcheurs dire qu'il était resté intouché depuis que l'Audacieux l'a remorqué et amarré au port. Personne n'ose monter à bord, et peu importe les coups de balais et de brosse, les taches ne partent pas.

La voix de Nahel-Narval perça la brume dans laquelle était enfermée la tête du jeune homme.

— Le Léviathan est maudit, hanté, damné et tous leurs synonymes. Je suis ahuri de voir que Danaël-Dragonnet veut nous faire monter à bord.

— Le goût de son humiliation à bord du Scylla trouble son jugement. S'il ne rattrape pas les pirates avant qu'elles ne s'emparent de la relique de Rorqual, il va être jeté de la marine royale.

Océan-Orque enlaça la taille de Nahel-Narval tandis qu'il continuait de lui tracer des cercles sur le genoux. Leur capitaine était en pleine négociation avec le gérant du port qui refusait d'envoyer des officiers à un sort incertain à bord d'un vaisseau fantôme. L'équipage était éparpillé aux quatre coins du port, vaquant à diverses occupations qui n'impliquaient pas de fixer le Léviathan et de se remémorer les mythes aussi épais que du sang qui l'entouraient. Kelton-Koï avait viré au cramoisi, une teinte qui jurait avec sa tignasse rousse, sous le flirt d'une jeune pêcheuse qui tenait un panier rempli de crevettes sur sa hanche. Les sourcils d'Auguste-Albatros se dandinaient alors qu'il conversait avec une troupe de promeneuses cachée sous des ombrelles de dentelle. Tous ignoraient d'une volonté de fer la silhouette imposante du Léviathan.

— As-tu accepté la proposition de Danaël-Dragonnet ? s'enquit Nahel-Narval qui recula pour mieux distinguer son visage.

Un soupir monta du fond des poumons d'Océan-Orque.

— Il est si insistant !

— Tu es notre meilleur atout.

— Non, c'est Rosin-Requin.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant