Chapitre 14 - Clélie-Corail

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Tout lui était familier. Son être chantonnait une comptine perdue à la mélodie antique qui lui donnait le sentiment d'enfin être à sa place. La jeune femme avait déjà aperçu ces murs de coquillage colorés, ces autels débordants d'offrandes et ces bassins à l'eau miroitante. Pourtant, Clélie-Corail n'avait jamais mis les pieds dans le temple de Cymopolée, ses parents le lui avaient toujours interdit. Elle comprenait désormais pourquoi, une douce chaleur s'étendait dans sa poitrine depuis qu'elle y avait mis les pieds et elle ne rêvait que d'y rester pour l'éternité. Petite fille, elle aurait supplié ses parents afin de ne pas partir. Les prêtresses se seraient fait une joie de l'accueillir parmi leurs rangs, si elles n'avaient pas commencé à négocier auprès d'Anselme-Anémone à la simple vue de Clélie-Corail. Sa ressemblance troublante avec la déesse était assez pour être acceptée dans les rangs des prêtresses qui lui auraient ouvert grand les bras. La jeune femme avait déjà vu tout cela, elle ne savait comment mais elle en était aussi sûre que la mer est bleue. Clélie-Corail s'était déjà aventurée dans le temple de Cymopolée. Des brides de rêves si lucides qu'ils se confondaient avec des souvenirs écumaient son esprit. Sa main, plus gracieuse avec de longs ongles et moins de cicatrices, caressait les motifs que formaient les coquillages. La jeune femme ne parvenait à être sur ses gardes alors que chaque cellule de son corps lui criait qu'elle appartenait à ce temple. Dans un autre monde, Clélie-Corail aurait habité ce temple, elle en était sûre. Elle serait devenue prêtresse. Sa vie, plus paisible, n'en aurait pas moins été agréable. Peut-être que dans cette vie, Rosin-Requin était plus qu'une pensée qui torturait son cœur.

Tiphaine lui asséna un coup de coude. Elle était tellement perdue dans sa contemplation ébahie du lieu qu'elle ne s'était pas rendue compte que son amie s'était aventurée dans des pièces bien plus éloignées. Clélie-Corail secoua la tête pour se remettre les idées en place. Ses réminiscences étranges et ses rêves d'autres vies attendraient la nuit. La jeune femme trottinait en rejoignant Tiphaine quand une alarme criarde les fit sursauter. Les pirates savaient ce que cela signifiait : elles étaient repérées. Elles devaient agir, et vite, si elles voulaient conserver l'espoir de dérober la relique de Cymopolée. Des grognements et des bruits de lutte se répercutaient contre les parois du temple. Elles se précipitèrent en direction du combat et découvrirent trois prêtresses affrontant Sabine et Haydée. Amaryllis entonnait une cantate depuis le bassin mais elle semblait trébucher sur ses mots, incertaine de comment gérer la situation sans l'aggraver. La sirène dirigea son drôle de regard vers Clélie-Corail.

— La relique est dans le bassin le plus proche de la mer, à l'extrême Ouest du temple !

Son intervention figea les prêtresses ce qui permit à Sabine d'en blesser une au sternum et à Haydée d'en assommer une autre. La prêtresse restante les couvrit des pires noms d'oiseaux tandis qu'elle s'agenouillait pour porter secours à sa camarade blessée. Les pirates détalèrent telles des lapins, à l'Ouest. Clélie-Corail guida la troupe à travers le dédale divin. Elle se demanda brièvement si ses amies pensaient qu'elle avait une boussole dans le cerveau. La jeune femme ignorait où était l'Ouest. Mais elle sentait la relique l'appelait, comme le bruit des vagues qui s'écrasaient sur les roches sous sa fenêtre. Pas une hésitation ne troublait sa course alors qu'elle s'enfonçait dans le temple à la recherche de la relique. Elles débarquèrent dans une salle en forme de losange, recouverte uniquement de coquillage lambis dorés. Clélie-Corail se rendit compte avec stupéfaction que les lambis avaient été ornés de feuilles d'or. Le résultat était extraordinaire. Cet endroit était définitivement digne de la relique d'une déesse. Les reflets d'or que lançaient les lambis se réverbéraient dans le bassin étroit qui trônait au centre de la pièce. L'eau, aux accents dorés, semblait être de l'or fondu. Au milieu du bassin se dressait un autel de marbre bleu dont le piédestal disparaissait dans les profondeurs. Un concert d'exclamation de surprise plus ou moins discrète vrombit dès que les pirates posèrent les yeux sur l'unique offrande de l'autel. Un sabre d'une blancheur osseuse aux ornementations délicates représentant une gigantesque lame de fond, sur le pommeau et la lame. Le pommeau était teinté de bleu et de rouge tandis que la lame était nue, blanche comme l'os dans lequel elle était taillée. L'âme de Clélie-Corail fredonnait. Elle se sentait dans sa cage thoracique, dans ses veines. Avant qu'elle ne puisse descendre dans le bassin pour attraper la relique, Tiphaine s'était jetée à l'eau et avec un glapissement s'en était emparée. La tête de Tiphaine s'enfonça sous l'eau et elle refit surface en crachant peu élégamment.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant