Chapitre 7 - Clélie-Corail

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Le Vivace ne méritait pas son nom. Le fin vaisseau profilé avait beau être taillé pour la vitesse, il était lent. D'une lenteur chaotique et maladroite qui rappelait à la jeune femmes les bébés tortues de mer qui bataillaient sur le sable avant de rejoindre la mer. Clélie-Corail s'était toujours étonnée qu'avec un taux de mortalité infantile si élevé, les tortues ne s'étaient pas éteintes. Les oiseaux guettaient l'éclosion des tortues de mer, tels les rapaces qu'ils étaient, pour se remplir la panse avec une facilité déconcertante. La mystérieuse navigatrice du Scylla pensait la même chose des navires marchands dont le Vivace n'était qu'un simple et bref exemple. Ils se tardaient d'une rapidité sans précédent, de voiles optimisés capables de capter les moindres vents et de les soumettre au génie méséen, donnant naissance à des bateaux plus rapides que les courants. Plus rapides que les pirates qui leur tournaient autour comme les plus tenaces des vautours. Mais les navires cédaient toujours aux pirates. Ces derniers étaient juste meilleurs, plus performants. Certains des scientifiques les plus éminents de Meisea se penchaient sur la question avec une attention démesurée qui les rendaient ridicules. Les nobles ne savaient pas voir la très simple vérité en face : les pirates excellaient parce qu'ils aimaient la mer et ses phénomènes, ils en profitaient sans tenter de les soumettre à leur volonté. Ainsi, la mer leur rendait ce respect, chose qu'elle boudait aux commerçants et autres nobles arrogants.

L'agitation sur le Scylla était à sa comble. Le sang de Clélie-Corail battait dans ses tempes avec une force qui revitalisait ses pas. Nina hurlait ses instructions aux canonnières. L'air avait l'odeur de la poudre et d'anticipation. Les canons du Vivace étaient d'une précision redoutable, l'un d'entre eux avait déjà éraflé la coque à tribord. Les pirates se démenaient sur le pont, les derniers préparatifs avant la bataille étaient exécutés à toute allure. Les filles essayaient de ne pas se marcher sur les pieds tandis qu'elles vérifiaient si leurs armes étaient toujours bien accrochées à leur ceinture. Clélie-Corail reposait sa main droite sur le pommeau de son sabre, enveloppé d'un cuir brun dont la couleur s'était vidée d'année en année, usé par la sueur de ses mains. Un petit poignard se dissimulait dans l'une de ses bottes. Mal équilibré depuis qu'elle en avait retiré les joyaux ornementaux pour s'acheter une partie de la loyauté de la joaillière, il était d'une laideur sans nom. Il avait été beau un jour, lorsqu'il servait sobrement d'arme d'apparat. La jeune femme ne l'utilisait jamais, mais son poids familier la rassurait. La présence familière d'un garçon aux cheveux cendrés qu'elle préférait chasser de ses pensées l'aidait à avancer. C'était lui qui le lui avait offert, pour son treizième anniversaire. Les joyaux incrustés sur le pommeau du poignard étaient rouges et bleus – rouge pour le corail et bleu pour les Contre-Courants lui avait-il dit. La lame était gravée d'une branche de corail aux minutieux détails qui avaient émue l'adolescente qu'elle était alors. C'était le dernier cadeau qui lui avait fait avant qu'elle ne soit enlevée. La seule et unique chose qu'elle avait gardé de son passé (ses lunettes ne comptent pas, elle ne peut pas vivre sans elles, de façon assez littérale).

— Mes amies, apprêtez-vous à aborder le Vivace ! s'écria Bethsabée, pendue à l'un des cordages du premier mat, déjà prête à se balancer sur le pont du navire marchand. Je veux que trois filles restent sur le Scylla pour assurer nos arrières.

— Je veux bien prendre la tête de cette brigade de défense, annonça Paule-Piranha avec flegme.

Clélie-Corail laisse s'échapper un rire. Elle le faisait toujours. Comme Paule-Piranha ne descendait jamais sur la terre ferme, elle ne s'aventurait pas non plus sur les ponts des navires ennemis. Elle s'était construite une maison sur ce vaisseau et refusait catégoriquement d'en descendre. Sans surprise, Bethsabée acquiesça et demanda à Diane et Édith de rester en arrière avec elle. Moins versées au combat, elles seraient plus en sécurité sur le Scylla, auprès de Paule-Piranha qui maniait son trident avec une habileté insupportable. Les tridents n'étaient pas l'arme de prédilection de Clélie-Corail. Face aux coups de Paule-Piranha, elle perdait toujours le combat.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant