Chapitre 5 - Amaryllis

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Déchirante et familière, la douleur qui s'emparait de la plante de ses pieds dès qu'elle s'échouait sur la terre ferme était revenue. Sans être agréable, elle était supportable. Amaryllis la cajolait, la dorlotait. Elle la gardait tout contre son sein tel le plus fragile des secrets. La douleur n'était pas causée par le manque d'exercice mais bien par sa peine. Par la malédiction des filles de Rorqual. Si les humains avaient été forgé dans du sable par Cymopolée, les sirènes étaient nées du sang et des algues de Rorqual. Les enfants de Cymopolée se noyaient dans les profondeurs ; les filles de Rorqual souffraient sur le continent. Amaryllis vérifia une nouvelle fois que son pantalon – trop large et trop grand – lui couvrait l'intégralité des jambes. Si un seul humain apercevait ses jambes nues, la sirène était sûre de passer un mauvais quart d'heure. Un mauvais quart d'heure qui signerait sa mort. Or, elle ne pouvait pas mourir. Pas maintenant, ni jamais. Et surtout pas quand Sabée lui avait confié une mission si importante. Amaryllis réprima un sourire, de peur qu'un passant trop observateur remarque ses dents trop pointues pour être humaine. Elle a-d-o-rait les missions que lui déléguait la capitaine. Une forme d'aventure qui ne lui était point familière, mais qu'elle convoitait avec tant d'ardeur que son cœur lui faisait mal. Boucanier était si intéressante ! Elle bouillonnait d'une vie riche et diverse, qui dans les océans ne se trouvaient que dans les récifs coraliens. Leurs beautés et leurs écosystèmes fascinants émerveillaient la sirène qui pouvait passer des heures à flotter au-dessus d'eux afin de les observer. Les seuls récifs coraliens de Meisea se situait au large des côtes d'Auturié, ces côtes où Amaryllis avait été élevée. Ces côtes où elle ne pouvait revenir sous peine d'être tuée.

Les humains claquaient des pieds sur les pavés irréguliers. Leurs bottes, leurs ceintures, leurs bijoux créaient des cliquetis métalliques dont la sonorité artificielle heurtait les tympans d'Amaryllis. Mystérieux. Comment pouvaient-ils provenir des dieux et si peu leurs ressembler ? La sirène secoua la tête. Ceux qui étaient le plus fait dans l'image des dieux étaient les navigateurs, les pirates et les officiers de marine. Eux partageaient cette passion de la mer, cet appel du grand bleu que Cymopolée avait apposé dans leurs veines. Elle fronça le nez – qu'elle détestait posséder sous cette forme, aussi petit et ridicule soit-il – sa fascination morbide pour les humains la dégoutait. Trop de stigmates en étaient liés. Mais cela était le propre d'une fascination : elle ne pouvait pas s'en empêcher. Amaryllis finit par s'arrêter devant la rue qui devait être celle qu'elle devait emprunter. Presque. Peut-être. Elle n'en était pas entièrement sûre. La promeneuse qui cueillait des coquillages torsadés sur la plage lui avait donné une description assez précise de ce qu'elle était censée chercher, accompagné du nom de la rue. Le nom en question s'étalait sur le panneau qui était cloué à l'une des maisons de pierres en coin de rue. Enfin, Amaryllis supposait qu'il s'agissait du nom en question, elle était bien incapable de lire les étranges runes que les humains utilisaient pour communiquer. Sabée avait essayé de lui apprendre, en vain. Elles se brouillaient devant ses yeux, comme la lumière danse sur le sable au gré des vagues. Comprendre et parler l'humain était déjà un exploit en soit. Pas besoin de savoir déchiffrer leurs stupides symboles. Amaryllis se décida à s'aventurer dans la rue, se décrochant le cou pour repérer cette « boutique située à flanc de falaise » que lui avait décrite la promeneuse. Le nombre d'informations que l'on pouvait soutirer d'une personne sous le charme d'une sirène était impressionnant. La vieille femme avait même oublié qu'elle avait croisé son chemin.

La promeneuse n'avait pas menti. La bijouterie était à deux doigts de se précipiter dans le vide en contrebas et de s'empalait sur les rochers qui tapissaient le fond de la mer. Ne prenant pas le temps de se demander s'il s'agissait bel et bien de la bonne boutique, Amaryllis poussa la porte et s'y invita. Plusieurs humains aux tenues encombrantes y étaient déjà. Un petit humain redressa la tête avec un sourire qui se fana lorsqu'il aperçut qui était entré dans la boutique de sa maîtresse.

Les Os des Baleines BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant