Si une personne de plus s'inclinait face à elle, Marlise-Méduse allait devenir folle. Elle longeait les murs du palais, vêtue de robes aussi blanches que les murs afin de passer inaperçue mais les yeux inquisiteurs des courtisans la trouvaient toujours, quel que soit l'état de ses parures. La jeune femme avait presque baissé les bras. Aujourd'hui, Geneviève l'avait habillé d'une robe d'un jaune foncé qui tirait sur l'orangé. Sa gorge croulait sous des rivières de diamants et ses lobes d'oreilles s'étiraient sous le poids de ses bijoux. Un cadeau de la famille des Contre-Courants lors de ses noces, que Marlise-Méduse avait failli refuser avant de se rendre compte de l'ampleur de l'incident qu'elle aurait créé. C'était Valentin-Vive qui avait voulu qu'elle les porte. Elle les détestait, trop lourdes, trop clinquantes et trop m'as-tu-vu. Marlise-Méduse soupira, elle supposa que c'était attendu de la part d'une famille dont la matriarche portait un collier de corail où était enfermée une partie des cendres de sa fille. Enfin, des cendres d'un corps inconnu. Les révélations d'Hippolyte-Hydre avait secoué la cour telles un raz-de-marée. La jeune femme avait dû dissimuler sa sympathie pour la noble devenue pirate sous des couches d'effarement et de peur. Denise-Dauphin n'avait toujours pas retiré son collier de corail, et elle répétait à quiconque voulait l'entendre que sa fille était belle et bien morte : elle n'accepterait jamais une pirate dans son cercle familial. Marlise-Méduse s'enfonça les ongles dans la paume de sa main. Elle continua son chemin en direction d'une des innombrables salles de réception du palais. Sur le petit brief qui lui avait envoyé Valentin-Vive, il lui expliquait que la cérémonie avait lieu dans le Salon du Pardon. C'était l'un des salons les plus appréciés du palais, grâce à ses immenses fenêtres qui donnaient directement sur l'océan en contrebas. Marlise-Méduse l'aimait, désert et à une heure tardive, lorsque seule la lune éclairait l'eau de ses rayons. Elle y restait immobile, des nuits durant, à observer le va-et-vient des vagues ainsi que les diverses créatures marines qui pointaient parfois le nez hors de la mer pour la saluer. La plus belle vision qu'elle n'eut jamais vue était une gigantesque méduse à crinière de lion qui voguait au gré des courants. Elle était seule dans l'immensité des eaux infinies, mais sa solitude n'avait rien de triste ou de mélancolique. La méduse se complaisait dans sa vie solitaire, dans le silence assourdissant de l'océan. Elle n'avait rien, ni personne et elle tenait à ce que cela reste ainsi. Parfois, Marlise-Méduse se rendait au temple de Cymopolée et flottait dans le bassin sacré de la déesse, là où elle avait réalisé son rite de passage à l'âge adulte alors qu'elle venait à peine d'avoir douze ans. Immergée dans l'eau, les yeux emplis de sel, la jeune femme priait toujours pour la même chose. Depuis ses douze ans, depuis qu'elle avait été jetée dans le monde impitoyable de la cour, Marlise-Méduse suppliait Cymopolée de faire d'elle une véritable méduse. Une aussi belle que les crinières de lion, à qui elle devait son nom. Ainsi, ses filaments repousseraient les prédateurs. Ainsi, sa solitude serait un atout, au lieu d'être une anomalie. Cymopolée ne lui avait jamais accordé son vœu, mais de temps à autre, lorsque Marlise-Méduse rêvait, elle n'avait ni cœur ni cerveau et dérivait dans les eaux infinies avec ses filaments pris dans les courants. La jeune femme chérissait ces songes plus que tous les autres.
Le Salon du Pardon était bondé. Marlise-Méduse souhaitait soupirer, mais déjà certains nobles l'avaient repéré et accourraient vers elle. Ne vous inclinez pas.
— Bonjour, votre Altesse Royale. C'est un véritable honneur d'être invité à cette magnifique fête, l'accueillit Thérèse-Tilapia des Forêts avec une révérence qui arracha à la princesse une grimace intérieure.
— Vous ne cessez de vous surpasser, ajouta sa fille.
Luce-Lamantin aurait pu compter parmi ses amies, si Marlise-Méduse était capable de s'en faire et que si la jeune noble n'était pas persuadée que la princesse était la réincarnation de Cymopolée. Marlise-Méduse bavarda avec les deux femmes, les remerciant pour leurs compliments avec un sourire faux plaqué sur les lèvres. Personne n'ignorait que la famille des Forêts était parmi les plus pieuses de Meisea, mais Marlise-Méduse ne pensait pas que leur conviction serait aussi forte. Rien ne le faisait changer d'avis, et Marlise-Méduse avait essayé tout ce qui lui était passé par la tête. Ils continuaient de croire, dur comme fer, qu'elle et Valentin-Vive était Cymopolée et Rorqual sous forme humaine. Luce-Lamantin était d'ailleurs en train de se pâmer sur ses « si belles fiançailles » et leur « si tendre union » en s'éventant à grands coups d'éventails. Et puisque c'est lorsqu'on parle du poisson-loup qu'il arrive, son époux se matérialisa soudain à ses côtés et lui donna un baisemain.
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Les Os des Baleines Bleues
FantasyLe royaume de Meisea est gouverné par les mers, les pirates en font leur terrain de jeu. Lorsque le Scylla, navire à l'équipage composée uniquement de femmes, reçoit une proposition très intéressante : dérober les reliques appartenant aux dieux Bale...
