Quels secrets se dissimulaient donc dans les profondeurs de cette eau ? Cette question tournait en boucle dans son esprit depuis que le Rédempteur avait jeté l'ancre dans la baie de Le Lagon. Une légère brise agitait ses dreadlocks tandis qu'il se penchait au-dessus du bastingage autant qu'il était possible sans basculer en avant. À l'instar de tant d'autres nobles, Océan-Orque s'était déjà rendu au Puits de Cymopolée, ce lieu de pèlerinage sacré qui hantait les légendes de Meisea. Alors âgé d'à peine six ans, il tenait sa petite-sœur dans ses bras en observant le trou monstrueux qui s'ouvrait dans l'océan. Les contes que lui racontaient sa mère avant de le mettre au lit prenaient enfin toute leur vérité, tout leur sens. Le Puits de Cymopolée était un temple naturel de la déesse, une abysse d'environ cinquante mètres de diamètres. Le fond de cette abîme n'avait jamais été touchée de mémoires d'hommes. Des plongeurs tentaient régulièrement d'établir des nouveaux records de profondeurs, au péril de leur vie, mais jamais le fond du Puits de Cymopolée n'avait été aperçu. Il semblait ne pas avoir de fin, se prolonger à l'infini. Son effet sur le paysage était à couper le souffle : la profondeur de la baie de Le Lagon n'était que d'une dizaine de mètres. L'eau était si claire que même debout sur le nid-de-pie, Océan-Orque était capable de percevoir les oursins qui parsemaient le sol de la baie. C'était d'une beauté singulaire qui poussait les voyageurs à s'y attarder, à tremper leurs doigts de pied dans cette eau aussi claire que du cristal. Mais la paix de ce lagon translucide était brisée par le Puits de Cymopolée et ses profondeurs abyssales. L'eau y était d'un bleu si foncé qu'il en paraissait noir. Cela créait un effet d'optique qui donnait l'impression que le Puits était bien plus gros qu'il n'était. On avait peur de se tenir près du bord de l'abysse, de peur d'y être aspiré. Aucune crainte n'était pourtant à avoir, le Puits de Cymopolée ne connaissait pas le moindre courant. Les mystères de son immensité annulaient tous les phénomènes marins connus pour n'y laisser qu'un calme plat, parfois inquiétant comme celui qui précède une tempête centennale. Tous les habitants de Meisea étaient fascinés, à juste titre, par cette merveille naturelle et les décades l'allaient transformer en lieu de pèlerinage.
Depuis la mort des dieux, une nouvelle tradition s'était enracinée : les pèlerins leur lançaient des offrandes. Les plus vaillants se rendaient jusqu'au bord du cratère marin à la nage avant de lâcher leur offrande. D'autres empruntaient les barques et pirogues mises à disposition par les prêtres et prêtresses, ils atteignaient le centre de l'abysse et plongeaient leur cadeau sous l'eau. Ils la regardaient couler lentement, jusqu'à ce que sa silhouette soit engloutie par les ombres qui régnaient sur ces profondeurs. D'autres encore, profitaient du pont de singe flottant qui avaient construit il y a une soixantaine d'années pour tranquillement marcher jusqu'au Puits. Les prêtresses de Cymopolée maintenaient que c'était là l'endroit où elle reposait, enlacée par son époux une dernière fois. Son enveloppe charnel devait être recouverte des offrandes de ses croyants. Océan-Orque farfouilla dans sa poche à la recherche de ce dont il voulait faire don à la déesse. Il s'agissait d'une broderie réalisée par sa petite-sœur, Lisbet-Loutre. Elle avait représenté Cymopolée sous sa forme humaine, le buste émergeant du Puits comme une seconde naissance. La peau noire de la déesse, qui n'était faite que de points de croix, semblait réelle. Océan-Orque passa le pouce sur l'ouvrage de sa sœur chérie avant de le laisser voleter dans l'eau sombre.
— Déesse Baleine Bleue, merci d'accepter cette offrande des enfants de la Brume. Ma sœur, Lisbet-Loutre, a conçu cette broderie et je me suis rendu dans ton Puits pour te le faire parvenir. Merci de veiller sur nous.
Le jeune homme ne bougea pas d'un pouce avant que son offrande ne disparaisse de sa vue. Même lorsqu'il sentit la présence familière de son ami s'inviter à ses côtés, il ne tourna pas la tête.
— Je suis sûr que Cymopolée va apprécier cette si belle broderie.
Rosin-Requin avait le dos face au bastingage et fixait l'un des mats du Rédempteur. Océan-Orque lui avait montré l'œuvre de sa sœur dès qu'elle était tombée entre ses mains. Il aimait se vanter des doigts de fée de Lisbet-Loutre et cela n'avait pas fait exception. Le jeune homme sourit et remercia son ami.
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Les Os des Baleines Bleues
FantasyLe royaume de Meisea est gouverné par les mers, les pirates en font leur terrain de jeu. Lorsque le Scylla, navire à l'équipage composée uniquement de femmes, reçoit une proposition très intéressante : dérober les reliques appartenant aux dieux Bale...
