Whispers of the UnderWorld

Epilogue

Les jours s'étaient fondus en semaines depuis que Raphaëlle avait quitté le monde des ombres. Elle avait retrouvé la maison de son enfance, les rues familières, et surtout son père. Pourtant, alors qu'elle franchissait le seuil de leur demeure, rien ne lui semblait pareil. Les murs qui autrefois l'avaient abritée lui paraissaient étrangers, presque oppressants. Une partie d'elle ne se sentait plus chez elle. Elle savait désormais que sa vie était irrémédiablement liée à ce monde horrible auquel elle avait été mêlée, un monde qu'elle n'avait jamais choisi mais qui s'était imposé à elle.

Son père, qui l'accueillait avec des bras tremblants mais un sourire sincère, semblait soulagé de la voir saine et sauve. Mais ce soulagement était teinté de quelque chose d'autre, une ombre d'inquiétude qu'il ne parvenait pas à cacher. Un soir, alors qu'ils étaient assis dans le salon, il prit la parole, hésitant.

« Raphaëlle, il faut que tu saches...
C'est pour te protéger, tu comprends ? Pour que tu n'aies jamais à fuir comme moi... »

Ces mots résonnèrent en elle comme un coup de poing. Ça. Cette chose qui avait brisé sa vie, qui l'avait éloignée de ce qu'elle aimait, et qui la liait désormais à un destin qu'elle avait voulu fuir. Pour son père, c'était une bonne nouvelle, une assurance pour l'avenir. Pour elle, c'était une condamnation, une chaîne invisible qu'elle sentait se resserrer autour de son âme.

« Je ne veux pas, papa. »
« Mais tu n'auras pas vraiment le choix. »
Pas le choix.

Perdue dans ses pensées, Raphaëlle se remémorait l'éloignement soudain d'Elena et des autres membres du gang. Pourquoi l'avaient-ils laissée partir ?
Et Jack... Elle lui en voulait. Il l'avait accueillie, puis chassée. Ce sentiment d'abandon la rongeait, et elle ne pouvait s'empêcher de ressasser cette trahison. Plus elle y pensait, plus elle sentait le besoin de s'éloigner de tout, de tous, même de son père. Elle avait besoin de silence, de solitude, pour essayer de calmer son esprit martelé de questions, pour tenter de comprendre ce qu'elle voulait vraiment.

Sans un mot, elle se leva du canapé, ignorant le regard inquiet de son père, et se dirigea vers la porte. « J'ai besoin de marcher, de réfléchir... » murmura-t-elle, avant de sortir dans la nuit fraîche.

Alors qu'elle errait dans les rues endormies, Raphaëlle sentit le poids du passé peser sur ses épaules. Elle avait quitté un monde, mais ce monde ne l'avait pas quittée. Il était là, dans chaque recoin de sa mémoire, dans chaque battement de son cœur. La route devant elle était incertaine, mais une chose était claire : elle ne serait plus jamais la même. Et la paix qu'elle cherchait semblait aussi lointaine que le jour où tout avait commencé.

Elle longea les rues, familières et pourtant si étrangères, en s'efforçant de reconnaître chaque détail, chaque souvenir qui y était associé. Mais rien ne semblait correspondre à ce qu'elle avait laissé derrière elle il y a tant de mois. La réalité la frappait : elle avait changé. Trop changé pour reprendre sa place ici, comme si de rien n'était.

Elle se revoyait dans ces moments passés avec Jack, ressentant encore cette brûlure de trahison qu'il lui avait infligée. Comment avait-il pu tourner le dos de cette façon ? Comment avait-elle pu se tromper à ce point sur lui ? La douleur revenait, vive et cinglante, et elle la laissait l'envahir, espérant qu'elle s'atténuerait un jour. Mais quelque chose lui disait qu'elle resterait, comme une cicatrice que le temps ne pourrait effacer.

Et Elena... Son baiser était encore frais dans sa mémoire. Un adieu déguisé, un dernier geste d'affection avant de la laisser partir. Elle ne l'avait pas compris sur le moment, trop aveuglée par l'idée que tout pourrait continuer. Mais maintenant, c'était clair. Elena lui avait dit adieu avant même qu'elle ne le réalise. Cette révélation lui déchirait le cœur. Peut-être que c'était sa façon de la protéger, de l'épargner d'une douleur plus grande encore. Mais au fond, Raphaëlle ne pouvait s'empêcher de ressentir une amère tristesse.

Son père.
Elle savait qu'il espérait qu'elle retrouve ici un semblant de normalité, qu'elle se réconcilie avec cette vie qu'elle avait laissée derrière elle. Mais comment pouvait-elle ? Comment pouvait-elle prétendre être la même personne après tout ce qu'elle avait vécu ?

Raphaëlle marcha longtemps, errant dans la nuit, jusqu'à ce que ses pas la mènent à un parc désert. Là, elle s'assit sur un banc, épuisée, l'esprit accablé de questions.
« Pourquoi Jack m'a-t-il trahie ? Est-ce que tout ce qu'il m'a dit, tout ce qu'il m'a fait croire, n'était que mensonge ? Depuis combien de temps prévoyait-il de me jeter dehors ?

Comment ai-je pu m'attacher à un monde aussi sombre ?

Qu'est-ce que je vais devenir maintenant ? Comment reconstruire ma vie, après avoir été si profondément marquée par ce que j'ai vécu ? Est-ce que je vais devoir affronter à nouveau ces ténèbres un jour ? Est-ce que je finirai par les accepter comme faisant partie de moi, ou vais-je réussir à m'en défaire ?

Enfin, une question restait suspendue au bord de ses lèvres, la plus lourde de toutes : Suis-je devenue comme eux ? Est-ce que la noirceur qui les entourait a commencé à teinter mon propre cœur ? »

Elle resta longtemps assise sur ce banc, le silence de la nuit amplifiant le tumulte de ses pensées. Le parc était désert, à l'image de son cœur, vidé de toute certitude. Elle aurait voulu fuir ces questions, ces doutes qui l'assaillaient sans répit, mais il n'y avait nulle part où aller. Tout ce qu'elle avait connu semblait s'effondrer autour d'elle, ne laissant que des ruines.

Raphaëlle n'avait jamais été aussi seule, ni aussi perdue. Mais peut-être que c'était ce dont elle avait besoin pour enfin trouver un peu de paix, pour reconstruire quelque chose sur les ruines de ce qu'elle avait perdu. Pourtant, une partie d'elle savait que cette quête ne serait jamais terminée, que ce monde qu'elle avait quitté continuerait à la hanter, à lui rappeler que sa place n'était peut-être plus ici, mais là-bas, dans les ombres.
Les ombres qui la suivent, finalement, depuis toujours.