Chapitre 28

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Je m'efforce de garder les yeux ouverts tandis que mon père décrit mon défi du soir. Je devrai sonder pendant quelques secondes trois de ses employés et écrire cinq pages minimum d'informations sur chacun d'eux. 

Assise sur le sofa confortable et moelleux du salon, je ne réagis même pas lorsqu'il m'explique tout cela. Me contentant de hocher la tête çà et là, je laisse ses paroles glisser à la surface de mes émotions. Je risque de finir cette tâche à 3h du matin, pourtant, je me sens si vide que cela ne m'affecte même pas. 

Je fixe brièvement les trois employés, trop épuisée pour trouver la situation malaisante. Après quelques dizaines de secondes, ils quittent tous la pièce, me laissant seule avec ma montagne de travail.

La fatigue accumulée pèse comme des tonnes sur moi, je me sens soudainement si confortable sur le canapé... 

...

Mme Ivery se tient debout devant moi, son chandail est taché de sang, mais ses yeux bruns me fixent avec calme. Autour de nous, tout est noir.

—Bonjour, Iris, dit-elle.

Elle n'est qu'à un mètre de moi, pourtant, sa voix semble lointaine et distante.

—Vous... Vous êtes vivante? 

Elle secoue doucement la tête, un sourire triste sur les lèvres.

—J'ai bien peur que non. Mon temps est révolu.

—Je suis tellement désolée! J'ai tout essayé pour dévoiler la vérité au grand jour, mais j'ai échoué. Tout est de ma faute, si vous ne m'aviez pas connu, jamais vous n'auriez signé le... 

—Non, Iris. Ne dit pas ça, coupe-t-elle gravement. Ce n'est pas de ta faute si certaines personnes sont prêtes à tout pour parvenir à leurs fins. 

—Peut-être, mais cela ne change rien au fait que je n'aurai même pas réussi à vous rendre justice, je soupire, la culpabilité me rongeant de l'intérieur.

—Il ne faut pas abandonner maintenant. Ton père pense que tu as reçu ton don uniquement afin de manipuler et voir le pire en chacun. Mais il se trompe. Ton devoir est d'apporter la justice et la vérité. 

—Comment suis-je supposée accomplir mon "devoir" si je n'ai même pas trois secondes pour dormir? 

—Ça, Iris, c'est à toi de le trouver...

Elle me fait un clin d'œil avant de disparaître dans l'obscurité.

...

J'ouvre les yeux en sursautant. Oh non, je me suis assoupie! Je consulte ma montre, il est présentement 5h02! Dans moins d'une heure, Erel enverra un de ces employés collecter le travail que j'ai fait! Je n'aurai jamais le temps d'écrire 15 pages en une heure!

Je me lève pour faire les cent-pas, tentant d'échafauder un plan qui me sortirait de cette situation délicate sans que ma famille adoptive n'en paie le prix. L'image de Mme Ivery était une projection de mon subconscient, mais cela ne change pas le fait que ses paroles étaient lourdes de sens. Je ne dois pas baisser les bras.

Il est impératif que je réfléchisse à un plan, et vite. J'en viens à la conclusion que, ce qu'il me faut, c'est du temps. Beaucoup plus de temps qu'une heure.

Je pourrais utiliser l'intelligence artificielle afin de remplir les pages, mais Erel le remarquerait sans aucun doute. La question est donc : Quand le remarquerait-il? 

Je n'ai aucun moyen de le savoir. Depuis qu'il a avoué avoir le don lui aussi, chaque fois que je tente de le sonder, il me bloque par je ne sais quel moyen. Cela ne l'empêche pas de continuer à  voir à travers moi comme un livre ouvert, évidemment. Cependant, je suis convaincue qu'avec la quantité de travail sur ses bras, il ne lira pas immédiatement mes 15 pages générées par IA. Cela devrait me laisser suffisamment de temps pour mettre ma famille adoptive en sécurité. Lorsqu'il découvrira la supercherie, Erel sera furieux, et je risque gros. Je n'ai malheureusement pas d'autres choix. L'idée de sa colère me terrifie, mais si c'est le prix à payer pour que ma famille reste en vie, alors soit. 

Bon, c'est décidé, je vais tenter le tout pour le tout.

J'ouvre avec fébrilité mon ordinateur et trouve rapidement une IA capable de faire le boulot. Ces deux derniers mois, j'étais prête à tout pour quelques minutes de sommeil, qu'il est possible que la plupart de mes devoirs aient été réalisé par des moyens similaires. 

"Écris 15 pages sur l'importance du sommeil à l'adolescence" je tape sur le clavier.

Si je dois me révolter contre mon père, autant y aller jusqu'au bout.

En quelques secondes, j'obtiens un résultat satisfaisant. J'imprime le tout avant de déposer les papiers sur la table. Sur la page du dessus, j'écris : 

Voici un petit résumé de ce que j'ai appris au cours des deux derniers mois... 

Je contemple le tout quelques secondes avant de sortir de la pièce en poussant un soupir résigné. 

C'est aujourd'hui que tout va se jouer.

La vérité qui détruitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant