La vérité qui détruit

Chapitre 29

Je sors du manoir avec mon sac à dos sur les épaules, faisant mine d'aller à l'école. La neige recouvrant le trottoir m'indique que la période des fêtes approche à grand pas, cela ne parvient pas à me détendre. J'embarque dans l'autobus que je prends tous les matins, mais, lorsque ce dernier s'arrête devant mon école, je ne descends pas. 

Assise un peu plus loin, Catalina me lance un regard curieux avant de sortir du bus. Une part de moi ne peut s'empêcher de souhaiter redevenir son amie, tandis que l'autre ressent une frustration grandissante face à cette faiblesse qui pourrait facilement être exploitée.

Je saisis mon téléphone et compose le numéro de mon école. Il s'agit de la première partie de mon plan, si j'échoue, tout tombe à l'eau.

—Bonjour, fait la voix de la secrétaire à l'autre bout du fil. 

—Bonjour, je vous appelle afin de vous informer qu'Iris Brown de la classe 4D n'assistera pas à ses cours aujourd'hui. Elle a beaucoup de fièvre, dis-je en modifiant légèrement ma voix.

—Je comprends. Mais... Puis-je savoir qui est à l'appareil?

—Cynthia Morrel, secrétaire en chef de monsieur Brown. Il était trop occupé pour vous appeler directement. Les affaires, vous comprenez? J'espère que ça ne posera pas de problème... 

—Non, non, non, pas du tout, s'empresse de répondre la réceptionniste. 

—Tant mieux, dis-je avec un sourire victorieux en coin. Passez une bonne journée.

—Vous aussi!

Je raccroche, triomphante. La première étape de mon plan a été réalisé avec succès! Maintenant, direction les bureaux Brown.

...

Lorsque je sors de l'autobus, je lâche un soupir de soulagement. Je n'en pouvais plus d'être à proximité de toutes ces personnes, leurs sombres secrets me dégoutaient.  Depuis que j'ai plus de facilité à sonder les autres, j'évite les endroits bondés. À l'école, je m'isole souvent, mes écouteurs sur la tête, afin de me concentrer sur moi-même, et non les autres élèves. La folie finirait sans doute par me gagner si je ne possédais pas ce réflexe. Peut-être est-ce ainsi qu'Erel s'est transformé en un être manipulateur dénué de toute compassion réelle. 

Je lève la tête et reste immobile quelques secondes, admirant la grande tour de verre devant laquelle je me tiens. Les bureaux Brown sont rassemblés dans un édifice aussi surdimensionné que l'ego de son propriétaire. Il y a là toutes les branches de l'entreprise, réunies au même endroit. 

Erel m'y a amenée quelques fois quand j'étais plus jeune. Pas par gentillesse, mais parce que cette action renforçait son image de généreux entrepreneur bienveillant.

Lorsque je franchis les portes vitrées de l'édifice, je ne peux m'empêcher d'être impressionnée par la décoration moderne de l'intérieur. J'avais oublié à quel point le lieu est resplendissant. 

—Bonjour, mademoiselle, comment puis-je vous aider aujourd'hui? 

Je sursaute, brusquement ramenée à la réalité. Je ne me suis pas déplacée jusqu'ici afin d'admirer l'architecture des bureaux de mon père, non, la vie de ma famille est en jeu. 

—Bonjour, je suis la fille d'Erel Brown. Je viens ici afin de récupérer certains dossiers importants qu'il m'a envoyée chercher. 

—Ah, Iris, pardonne-moi, je ne t'avais pas reconnue! Tu as grandi!

J'affiche un sourire à l'apparence sincère, tandis que ses opinions à mon égard me sont audibles.

Elle pense que tu es comme ta sœur, une enfant gâtée et snob, elle ne t'aime pas vraiment, mais fait semblant d'être gentille avec toi car...

Je tique légèrement, tout en m'efforçant de rester concentrer sur ma tâche. La réceptionniste semble remarquer mon malaise, car elle demande : 

—Tout va bien?

—Oui, oui. J'aurais besoin des clés du bureau de mon père afin d'aller y chercher les documents. 

—Pas de problème, je vais simplement lui téléphoner afin de m'assurer qu'il est d'accord. 

—Est-ce vraiment nécessaire? j'interroge, ma voix faussement calme. Mon père croule sous le travail et vous savez tout comme moi qu'il n'apprécie pas les dérangements.

—Je ne sais pas...

—J'en ai pour cinq minutes.

—Bon, c'est d'accord, soupire-t-elle après un instant d'hésitation. Voici les clés. 

—Merci.

Je tourne les talons et me dirige vers l'ascenseur, en silence. Si j'ignorais qu'elle me méprisait, je pourrais presque me sentir coupable d'être la cause de son futur renvoi.