Chapitre 21

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Je pose le bol de soupe vide sur la table. Bien que je ne le lui admettrai jamais, Erel avait raison, je me sens mieux. Ce dernier est parti faire je-ne-sais-quoi. Toujours assise sur le canapé, je m'étire et pousse un bâillement. 

Je prends mon téléphone consulte rapidement les nouvelles du jour. Les médias s'accordent toujours pour dire qu'Ivery est morte de vieillesse et non pas assassinée. Un article attire alors mon attention. 

La librairie Ivery fera désormais partie des entreprises Brown

Je lis rapidement l'article. Évidemment, on ne parle pas de la manière peu honnête dont mon père a réussi cela, mais plutôt d'une aide mutuelle entre les deux compagnies.  

...Le PDG des entreprises Brown, Erel Brown, affirme être profondément attristé par la nouvelle de la morte de Mme Ivery. 

"Je ne peux imaginer la douleur de la famille de Mme Ivery, qui par sa gentillesse et générosité, était une personne remarquable. Je m'engage cependant à honorer sa mémoire et à ouvrir une deuxième librairie à son nom, comme elle l'aurait voulu". 

Je lève les yeux au ciel, Erel est un professionnel quand il s'agit de bien paraître. Cet article le montre comme un homme généreux qui est prêt à exaucer les derniers vœux d'une morte, alors que, tout ce qu'il désire, c'est l'argent que cela rapportera. Beaucoup d'argent, j'en suis certaine, d'ailleurs.

Une photo de mon père, le visage grave, mais l'air résolu et héroïque, couronne le fiasco. Je secoue la tête, dégoutée.

—Je suis d'accord avec toi, ce plan sur mon visage est très mauvais, commente une voix derrière moi.

Je lâche un juron et échappe accidentellement mon téléphone. Moi qui tente toujours de ne pas me laisser déstabiliser par ses apparitions aussi subite que ses changements d'émotions, c'est raté cette fois-ci.

—Bon sang, Erel! 

Depuis combien de temps est-il là à regarder l'article dans mon dos? Je l'ignore et préfère ne pas savoir.

—Oh, je t'ai fait peur? lance-t-il, un sourire cruel en coin.

—D'après toi? je réponds avec hargne.

Je me penche pour ramasser mon cellulaire et me rassois sur le canapé.

—Qu'est-ce que tu veux? j'interroge sèchement.

—Je m'assurais simplement que tu allais bien. 

Cela ne fait qu'attiser ma méfiance à son égard.

—Aw, c'est trop gentil.

Mon ton est tranchant, mais il ne se départit pas de son sourire narquois.

—Pourquoi es-tu toujours si méfiante avec moi, Iris? 

La question me prend de court, non pas à cause de sa nature, mais bien parce que je n'imaginais pas que la réponse lui importais.

—Parce que je sais ce qui arrive aux gens qui te font confiance, Erel.

C'est la première fois où je fais allusion à l'affaire Ivery et à son implication, mais il ne réagit même pas. Je décide de pousser le bouchon un peu plus loin.

—Mme Ivery, par exemple... On voit bien où ça l'a menée.

Erel s'avance pour s'assoir à côté de moi sur le canapé, son sourire rétrécissant si peu, que je me demande si c'est mon imagination.

—Je t'avais dit de ne pas te mêler de tout ça, répond-il d'un ton glacial.

—Je comprends pourquoi. Tu ne voulais pas que je découvre qui tu es réellement.

À présent, Erel ne sourit plus. Au lieu de me réjouir, cela ne fait que m'effrayer. Je lâche un bâillement sans pouvoir m'en empêcher.

—Mais tu le savais déjà, n'est-ce pas?

Sa voix est si basse que ce n'est qu'un murmure, et pourtant mon sang se glace. Se pourrait-il que...?

—Au début, je dois te l'avouer, je pensais que c'était ta sœur qui l'avait. C'est pour cette raison que c'est elle que j'ai gardé avec moi, et pas toi. Une erreur regrettable que je n'ai réalisé que trop tard. J'ai ensuite compris que c'est toi qui le possédait lorsque je t'ai visitée à ton anniversaire de dix ans. 

—De quoi est-ce que tu parles? je balbutie.

—Mais de ta capacité à voir les autres, bien sûr, répond-il comme s'il s'agissait d'une évidence. Oh, ne fait pas cette tête. Tu pensais que je l'ignorais?

Il éclate de rire, ce qui a pour effet de me terrifier davantage. Moi qui pensais avoir le dessus sur cette conversation, oh comme je me trompais.

—Je ne sais pas de quoi tu parles, je mens dans une tentative vaine.

—Et moi, je sais que ce n'est pas vrai. Tu croies vraiment être la seule qui puisse lire les autres?

Lui aussi possède mon don! J'en ai le souffle coupé, alors que ça aurait dû être une évidence. Voilà comment il savait que je sortais souvent tard le soir, ce n'était pas Mélissa qui le lui disait! Voilà comment il a su que j'enquêtais sur l'affaire Ivery! Voilà pourquoi je me suis toujours sentie comme s'il pouvait me sonder comme un livre ouvert.  Mais surtout... Voilà pourquoi je suis dans le pétrin.

Je tente de me lever, mais mes jambes refusent de m'obéir. Qu'est-ce que...? 

—Qu'as-tu fait? je demande dans un souffle.

—Ne t'inquiète pas, tout ira bien. Je dois simplement m'assurer que tu ne quittes pas le manoir tout de suite. Je ne voulais vraiment pas en arriver là, mais tu es si têtue...

Ma vision se brouille tandis que je réalise qu'il ne m'a pas servi cette soupe par bonté de cœur.

—Je ne te le pardonnerai jamais... Jamais... 

Un sourire triomphant et narquois déforme alors son visage impassible.

—Tu ne comprends donc pas, Iris? Je n'ai pas besoin que tu me pardonnes, simplement que tu ne dévoile pas ce que tu as appris. On pourrait dire que je suis un homme simple, je n'en demande pas tant pour être heureux.

Impuissante, je sens le piège se refermer sur moi. Il a gagné, comme d'habitude. 

—Non... 

—Cesse de te débattre, Iris. C'est inutile.

Je me raidis lorsqu'il pose sa main glacée sur ma tête, un geste tout sauf affectueux.

J'étouffe un sanglot d'horreur, tandis que je pense à Mme Ivery que je n'aurai pas réussi à venger. Jamais elle ne se serait laissé berner par Erel si je ne l'avais pas connue. Comme toujours, les personnes proches de moi finissent inéluctablement par souffrir. 

Je tente vainement de me redresser sur le canapé, mais mon corps ne répond plus et je retombe lourdement sur les coussins. Des larmes de désespoir et de frustration glissent doucement sur mes joues.

—Allons, ne pleure pas, ma chère Iris. On ne peut pas toujours gagner, c'est la vie, murmure-t-il en me caressant doucement les cheveux.

Cette affection fausse ne fait que redoubler ma douleur. 

—Je... Te hais, j'articule avec difficulté.

—Shhh, tu ne sais pas ce que tu dis, repose-toi.

Je ferme les yeux malgré moi avant de me laisser aller à l'inconscience. 

La vérité qui détruitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant