4. Bref moment de complicité

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Lacourt est à peine rentré qu'Adam débarque dans son bureau. Il a sous le bras les dernières liasses fiscales, un épais rapport sur les perspectives de croissance de STL et « un certain nombre de points à éclaircir », selon ses propres mots. Lacourt n'en mène pas large, s'embrouille, confond les chiffres. Il n'a pas l'habitude qu'on le pousse dans ses retranchements. Ses salariés le respectent ou le craignent, personne n'ose le contredire. Face à Adam, impossible de taper du poing sur la table. Pour s'en débarrasser, Lacourt lui suggère d'appeler son expert-comptable.

– Je ne pense pas qu'un appel téléphonique suffise, dit Adam en souriant. Une réunion s'impose. Fin de semaine ?

Lacourt bredouille que oui. Si Adam s'écoutait, il exigerait dès maintenant que Thomas disparaisse de son champ de vision, qu'il retourne avec les autres ouvriers faire le travail pour lequel il est payé, le plus loin possible de lui. Mais Adam résiste à la tentation. Il veut prouver à Lacourt que côtoyer Thomas ne lui fait ni chaud ni froid, que son plan minable pour le déstabiliser est un échec total, qu'il a juste réussi à se le mettre à dos.

De retour à son bureau, il s'installe derrière son ordinateur. Thomas a entièrement vidé la bibliothèque et est en train de la fixer au mur, à dix centimètres de son emplacement initial. Après, il devra encore ranger toute la documentation et reboucher les anciens trous de fixation. Adam se comporte comme s'il était seul dans la pièce. Son agenda est ouvert à la journée du lendemain. Elle s'annonce chargée : présentation devant le comité directeur de STL le matin, pot en l'honneur de son arrivée l'après-midi. Adam sait que tous les salariés sont conviés et qu'un traiteur se chargera du buffet. En temps normal, il aurait apprécié l'attention, mais là, il a envie d'étouffer Lacourt avec ses petits fours.

– J'ai fini, dit-il d'un ton tranchant. Tu me ramènes chez moi.

Thomas repose son tournevis, s'essuie les mains sur son bleu de travail.

– Je vais juste me changer et...

– Dépêche-toi, coupe Adam.

Cinq minutes plus tard, ils s'installent en voiture.

– Je peux savoir ce qui t'arrive ? demande Thomas.

– Démarre.

Thomas obéit, la voiture quitte le parking. Adam ferme les yeux. Une part de lui aimerait sentir son estomac se contracter ou un mal de crâne obscurcir ses pensées, mais non, rien. Il se sent bien.

– T'avais raison, ce matin, reprend Thomas. J'avais pas le droit de te demander de me prendre comme chauffeur. Et si tu veux tout raconter à Lacourt...

– Il n'y a rien à raconter. Il sait déjà tout.

Après un court silence, Thomas murmure que c'est impossible.

– Tu crois que c'est un hasard si tu conduis cette voiture ? attaque Adam. Si tu aménages mon bureau ? Si je ne peux pas faire un pas chez STL sans que tu sois sur mon dos ? Tu es complètement con ou quoi ?

Thomas serre les dents sous l'insulte.

– Comment il sait ? demande-t-il, le regard fixé sur la route.

– À toi de me le dire.

Thomas laisse échapper un rire, plus nerveux qu'amusé.

– Tu crois que c'est moi ? Lacourt est prêt à tuer sa mère pour te plaire. Il me virerait s'il savait le quart de ce que je t'ai fait.

– Il sait. Et il t'a pas viré. Il se sert de toi pour prendre l'ascendant sur moi.

Le silence retombe, jusqu'à ce que Thomas le rompe.

Une petite histoire de vengeanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant