Une petite histoire de vengeance

14. Sherlock Holmes

En début d'après-midi, Thomas entre dans le bureau d'Adam avec un pot de peinture et un rouleau.

– Je pensais repeindre maintenant, dit-il en posant ses affaires à côté de la bibliothèque. Ça sèchera ce week-end et l'odeur sera moins forte lundi.

– Vas-y, dit Adam sans lever les yeux de son ordinateur. De toutes les façons, je dois rejoindre Jérôme au R&D.

Il y a un blanc et Thomas répète :

– Jérôme ? Tu l'appelles par son prénom ?

Pas devant lui, songe Adam en faisant défiler la documentation du dernier projet de STL. Les schémas sont complexes et les légendes, incompréhensibles. Il ne sait même pas dans quel sens les prendre. Motoréducteur, fils trapézoïdaux, dégrilleur rotatif...

– T'as besoin d'aide ?

Adam cesse de marmonner.

– Ça dépend. Tu t'y connais en tamis statique et courbe ?

– Bien sûr.

Adam décale sa chaise de bureau et lui fait signe d'approcher. En un coup d'œil, Thomas est capable d'expliquer le fonctionnement des tamis, l'évacuation des déchets, le rôle du registre d'alimentation. Adam pose des questions sur les applications industrielles. Là aussi, Thomas sait répondre. Clair, précis, efficace, il utilise peu de mots et les bons. Adam prend des notes. Il ne le précise pas, mais il est impressionné.

– Merci, dit-il quand Thomas a fini.

– C'est rien par rapport à ce que t'as fait pour moi ce matin. Je peux te demander pourquoi t'as pas saisi l'occasion ?

– De quoi ?

– De te débarrasser de moi.

Adam range son ordinateur dans sa mallette. Plusieurs réponses lui viennent à l'esprit. Il choisit la plus simple.

– Tu conduis bien.

***

Les connaissances d'Adam sur les tamis épatent Jérôme. Ils discutent études de marché, clients potentiels et marketing. À la fin de leur rendez-vous, Adam est satisfait. Jérôme, lui, a l'air préoccupé.

– Avant de vous dire au revoir, Monsieur Bathily, je souhaiterais que nous discutions de la scène de ce matin.

– À propos de Thomas ? demande Adam.

Jérôme acquiesce.

– Je ne voudrais pas que vous pensiez que nous sommes des amateurs en gestion des ressources humaines.

Il enchaîne sur les procédures RH mises en place par STL. Bien-être au travail, suivi de carrière, lutte contre le harcèlement sous toutes ses formes, Adam perd le fil. Une folle hypothèse vient de naître dans son cerveau. Rien de bien tangible, juste un indice par-ci par-là, mais plus il y réfléchit, plus il s'en convainc. Thomas et Jérôme ont eu une liaison.

***

Au lieu de repasser par son bureau, Adam fait un détour par l'atelier. Thomas s'affaire devant un établi et lui tourne le dos. Adam en profite pour l'observer. Même en bleu de travail, il a de l'allure. La faute à son mètre quatre-vingt-cinq et à ses épaules. Adam essaie de l'imaginer avec Jérôme et n'a pas plus de succès qu'avec l'homme marié. Il se secoue, frappe deux coups contre l'antique réservoir stocké à sa droite. Thomas se retourne, un outil à la main.

– T'as besoin de quelque chose ? demande-t-il.

– Non. Qu'est-ce que tu fais ?

– Le truc le plus chiant que Lacourt ait trouvé : je range l'établi.