Une petite histoire de vengeance

25. Malika frappe toujours deux fois

Le téléphone d'Adam sonne. C'est Malika qui interrompt leur conversation - ça devient une habitude. Adam n'est pas surpris : elle lui a envoyé plusieurs messages au cours de la soirée. Le dernier précisait que c'était "urgent". Pas si urgent que ça, puisqu'elle a attendu plusieurs minutes avant de l'appeler.

– Excuse-moi, dit Adam à Thomas. Je dois répondre.

Il s'éloigne et décroche.

– Tout va bien ?

– J'ai besoin de toi, répond Malika. Demain soir, pour un déménagement.

– Très drôle.

Mais elle est on ne peut plus sérieuse.

– Eve quitte Bryan. Ce connard l'a très mal pris. Demain, on débarque chez lui en force, on récupère les affaires d'Eve et on se barre.

– Ça ne peut pas attendre ce week-end ? soupire Adam.

– Elle n'a rien pu emporter. Même pas sa brosse à dent ! On fait ça demain. Vite fait, bien fait.

Habitué aux plans fumeux de Malika, Adam calcule. S'il part tôt de chez STL, il peut prendre le train de dix-sept heures trente. Paris Bercy est à seulement quatre stations de Place d'Italie. C'est faisable.

– Dix-neuf heures, ça irait ? demande-t-il.

– Parfait. Tu vois avec Ouin-Ouin s'il peut venir ?

– Ouin-Ouin ?

– Ton chauffeur à gros bras.

– Thomas ? Tu plaisantes ?

Mais Malika est toujours aussi sérieuse.

– On ne sera pas nombreux. Un mec de plus, ça fait la différence.

– Ce n'est pas la question. Il n'a rien à faire là-dedans.

– Il n'avait rien à faire à Nantes non plus et pourtant il est bien venu me rapporter mon Mac.

– Ça n'a rien à voir ! proteste Adam.

Il ne comprend pas que Malika, qui a plus de connaissances qu'elle ne peut en compter et une liste de prétendants longue comme le bras, envisage sérieusement de faire appel à Thomas.

– Il a le permis et une voiture, insiste-t-elle. C'est utile, pour un déménagement.

Tant de mauvaise foi épate Adam.

– Il doit bien y avoir un autre gus, dans tout Paris, qui remplit ces deux critères !

– Peut-être. Mais la pub, c'est un petit milieu. Et Eve ne veut pas se donner en spectacle. Crois-moi : elle est à deux doigts de tout laisser chez ce sale type pour ne pas faire de vagues.

Nerveux, Adam regarde sa montre. Si la conversation s'éternise, Jérôme et Franck Dumas vont se demander ce qu'il fiche. Et Malika, qui ne connaissait pas Thomas avant-hier, est désormais persuadée qu'il est le candidat idéal pour ce foutu déménagement. Quand il lui propose de la rappeler plus tard, elle prend la mouche.

– Tu sais quoi ? Laisse tomber. J'ai son numéro. Je vais lui demander moi-même.

– Attends ! Non !

Mais elle a déjà raccroché.

***

Thomas ne sait pas pourquoi, mais Adam est de mauvaise humeur. De retour au restaurant, il a avalé son café sans prononcer le moindre mot, et quand Jérôme a proposé de régler l'addition pour tout le monde, il l'a envoyé paître. Thomas aurait pu s'en réjouir, mais sa propre situation est trop déprimante pour ça : c'est Adam qui a payé pour lui. Jérôme a invité son client, et Adam, son chauffeur, songe-t-il avec une douloureuse lucidité.