Chapitre 4 Raven

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Le réveil sonna, son bourdonnement aigu résonnant dans la pièce silencieuse. Je l’éteignis d’un geste rapide, mais je ne bougeai pas immédiatement. La nuit avait été longue, interrompue par des cauchemars qui s’accrochaient à moi comme des ombres. Les mêmes souvenirs, le même visage. Ils revenaient inlassablement, comme pour me rappeler que je ne pouvais pas échapper à mon passé. Je m’assis lentement, sentant la fatigue peser sur mes épaules, mes membres lourds comme du plomb.

Je balayai la pièce du regard. Tout semblait en ordre, tout était à sa place, et pourtant, cette sensation de vide persistait. Mon carnet manquait toujours. Cela faisait deux jours maintenant, et malgré mes efforts pour ne pas paniquer, l’inquiétude grandissait. Ce carnet était plus qu’un simple objet : c’était mon sanctuaire, le seul endroit où je pouvais être moi-même. Sans lui, j’avais l’impression d’être encore plus vulnérable, exposée. Mais aujourd’hui, je n’avais pas le temps de m’attarder sur cette perte. Je devais me concentrer sur autre chose : mon premier jour à l’université.

Je me levai, rassemblant toute la détermination que je pouvais trouver pour affronter cette journée. Mes pieds nus touchèrent le sol froid, et je frissonnai. Je me dirigeai vers l’armoire, où j’avais soigneusement accroché les vêtements choisis la veille : un blazer noir, un jean bleu nuit, et un petit haut noir à manches longues. Je voulais un ensemble sobre et professionnel, comme pour me donner un air assuré. Je me regardai dans le miroir, ajustant le blazer. La vendeuse avait dit que ce style était parfait pour une étudiante en commerce, mais en me voyant, je me demandais si j’étais vraiment prête à entrer dans cette vie.

Je chaussai mes bottines, les mêmes que j’avais achetées spécialement pour cette occasion. Elles me donnaient un peu de hauteur, une impression de contrôle, même si à l’intérieur, tout vacillait. Mes cheveux restaient détachés, tombant en vagues autour de mon visage. Je n’aimais pas les attacher. Attachés, ils me donnaient l’impression d’être à découvert, vulnérable. Ainsi relâchés, ils formaient une barrière, un écran entre le monde et moi.

Mary et Michael étaient partis tôt ce matin, me laissant le soin de déposer Victor à l’école. En montant dans la voiture, je l’aperçus avec son éternel sourire, un sourire qui illuminait son visage de gamin et contrastait avec le poids que je portais en moi. Il était si innocent, si plein de vie. Tandis que nous roulions, il parlait sans arrêt, son enthousiasme débordant dans l’habitacle comme une vague d’énergie.

— Je suis tellement content que tu sois là, Raven ! s’exclama-t-il. C’est trop bien d’avoir une grande cousine qui vit avec nous maintenant.

Je souris faiblement, tentant de paraître présente. Mais en réalité, mes pensées étaient ailleurs, tournées vers ce carnet introuvable.

— T’as retrouvé ton carnet, finalement ? demanda-t-il, l’air concerné, son regard me scrutant avec une sincérité désarmante.

Mon cœur se serra. Je ne voulais pas l’inquiéter, ni le laisser voir à quel point cette perte m’affectait. Je fis de mon mieux pour le rassurer, même si mes mots sonnaient faux à mes propres oreilles.

— Oui, ne t’inquiète pas, mentis-je en détournant les yeux vers la route.

Il hocha la tête, semblant croire mon mensonge, et je sentis un soupçon de culpabilité m’envahir. Ce carnet... Il contenait tout ce que je n’osais pas dire, tout ce que je ne pouvais partager avec personne. Aujourd’hui, j’avais rendez-vous avec une nouvelle psychologue après les cours, et j’étais censée lui montrer mes notes. Mais si je ne retrouvais pas ce carnet...

Une fois Victor déposé, je me dirigeai vers l’université, chaque kilomètre amplifiant l’angoisse dans ma poitrine. Les bâtiments imposants apparurent enfin devant moi, leurs structures de verre et d’acier reflétant le ciel comme un mirage. Quand je m’arrêtai, je restai immobile un instant, absorbée par l’architecture. L’université me semblait gigantesque, presque écrasante. Elle incarnait toutes ces années de rêves, tous ces espoirs de renouveau. Un instant, je me permis de croire que tout pouvait recommencer ici, loin des fantômes de mon passé.

Mais une vague soudaine de panique monta en moi. Des flashs, des bribes de souvenirs déformés par l’angoisse, me traversèrent l’esprit. Son visage. Son souffle. Sa voix. Je fermai les yeux, respirant profondément pour reprendre le contrôle. Pas ici. Pas maintenant.

— Hé, toi, tu dois être Raven, non ?

Je sursautai, ouvris les yeux et vis une fille de mon âge. Elle avait les cheveux bruns, ébouriffés, et un large sourire illuminait son visage. Elle se tenait là, devant moi, sa main tendue avec enthousiasme.

— Moi, c’est Lola, dit-elle joyeusement. Je suis chargée de t’accompagner pour ta première journée. T’as de la chance, on est dans le même programme !

Lola rayonnait d’une joie de vivre que je n’avais plus. Sa légèreté, sa spontanéité... Je ne pus m’empêcher de me demander si un jour j’avais été comme elle, insouciante et pleine d’espoir. Avais-je déjà eu ce sourire lumineux, cette énergie qui faisait défaut à présent ?

Je serrai sa main, tentant de cacher mon malaise derrière un sourire forcé.

— Salut, murmurai-je, cherchant mes mots. Ravie de te rencontrer.

Nous pénétrâmes dans l’université, et Lola entreprit de me faire visiter les lieux. Elle parlait sans arrêt, et même si je ne suivais qu’à moitié, cela me soulageait. Son énergie remplissait le vide en moi, créant une distraction bienvenue. Les couloirs étaient remplis d’étudiants, leurs rires et leurs voix résonnant dans l’air, insouciants, légers. Chaque pas me rappelait que je n’appartenais pas à ce monde, que je n’étais qu’une spectatrice observant une scène qui n’était pas la mienne.

Finalement, nous arrivâmes dans une salle de classe. Les autres étudiants s'installaient, discutant par petits groupes, souriant comme s'ils n'avaient aucun souci au monde. Je me dirigeai instinctivement vers le fond de la salle, près de la fenêtre. J'avais besoin de voir l'extérieur, de me sentir connectée à quelque chose de plus vaste, même si ce n'était que le paysage urbain de New York.

Lola, fidèle à elle-même, vint s’asseoir à côté de moi sans hésiter. Elle continuait de parler, ponctuant chaque phrase d’un sourire ou d’un regard complice. Sa présence me rappelait celle de Victor, cette innocence qui m’échappait. Elle était cette lumière à laquelle je ne pouvais plus accéder, un rappel douloureux de ce que j’avais perdu.

Alors que le professeur entrait dans la salle, je laissai mon regard se perdre par la fenêtre. Au loin, les immeubles s’étendaient, des géants de verre et d’acier s'élevant vers le ciel. J’avais toujours rêvé de New York, cet endroit où tout était possible, où je pouvais fuir et me reconstruire. Mais ici, même dans cette ville immense, je me sentais piégée par mes souvenirs.

Lola me donna un léger coup de coude pour attirer mon attention, et je tournai la tête vers elle, tentant de me concentrer sur le moment présent. Peut-être que je pouvais me laisser porter par cette nouvelle vie, laisser cet endroit me transformer. Après tout, j’étais enfin à New York. Peut-être qu’ici, je trouverais la force de tourner la page.

Je pris une profonde inspiration, essayant de me convaincre que c’était possible. Peu importe le poids de mon passé, peu importe les fantômes qui me hantaient, j’étais là. Et peut-être, juste peut-être, que c’était un bon début.

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