Le concert
Je crus d'abord à une hallucination.
Ça ne pouvait être réel.
Mais mais soupçons s'effacèrent très vite quand mes crochets commencèrent à s'agiter dans tous les sens, tambourinant contre ma main que j'avais plaqué sur ma bouche. Je retins un cri. Qu'est-ce que c'était que ces choses nichées là, au creux de mes joues ?
Inspirer, expirer. Je répétai l'opération plusieurs fois et finis par reprendre doucement mon calme. Je voulus essayer de les bouger par moi-même : haut, bas ; gauche, droite. Au moins, j'étais maintenant assuré que ce n'était pas un rêve. Hors de question d'en parler à qui que ce soit, y compris Nathan, que je ne voulais en aucun cas inquiéter. Je tentai de replier mes crochets vers l'intérieur, espérant les cacher, mais ils ressortirent contre mon gré et plus vifs que jamais. Il fallait que je trouve un moyen de les dissimuler aux yeux du public, avec une cagoule ou un masque...
Je jetai un œil au contenu des étagères, et y trouvai finalement une boîte de masques chirurgicaux à côté des cotons-tige. On en avait toujours à disposition, dès qu'il fallait se rendre chez le médecin par exemple. J'en sortis un de la boîte presque pleine – nous avions guère l'occasion de les utiliser, et l'enfilai autour de mes oreilles, avant de me regarder de nouveaux dans la glace. En prêtant attention aux plis du masque, on pouvait très bien se rendre compte que quelque chose clochait là-dessous. Ce n'était pas parfait, mais ça devrait faire l'affaire.
Prochaine étape, trouver d'où venaient ces espèces de crochets. Et si la comète passée hier avait eu un effet sur mon organisme ? J'écartai vite cette option. Aucun des trois ordres hybrides ne possédait cette caractéristique physique et puis, de toute façon, j'étais trop loin du point du point d'hybridation au moment de l'impact.
Je sortis de la pièce et me dirigeai vers le salon. Nathan somnolait encore, et mon ordinateur ne semblait toujours pas donner de signe de vie. Mais soudain, mon ventre produisit un son étrange, comme un grondement sourd. Je réalisai alors que, n'ayant rien mangé depuis hier midi, j'avais faim. Terriblement faim même. Je partis en direction de la cuisine, et commençai à préparer le petit déjeuner.
« Je devrais peut-être en parler à un médecin... » pensai-je en faisant sauter les pancakes dans la poêle. Mais, encore une fois, j'ignorai cette idée. C'était trop risqué.
Je m'imaginai dans ces films, où le héros prend conscience qu'il est atteint d'une maladie ou d'une quelconque mutation semblable à la mienne, un secret à protéger, se retrouvant dans l'obligation de mentir à ces amis. C'est sûrement ce que je devrai faire avec Nathan, une chance qu'il ait le sommeil lourd.
J'entendis mon petit ami se tourner dans le canapé, puis se lever. Il vint s'asseoir à la table de la cuisine, encore à moitié assoupi.
– Alors, demandai-je en lui servant une assiette. Tu as passé une bonne nuit ?
Heureusement, l'apparition de mes crochets n'avait pas influencé ma façon de parler.
– On peut dire ça... répondit-il en bayant.
Il s'étira, et porta un morceau de pancake à sa bouche. Tout à coup, il arrêta son geste, posa sa fourchette et commença à me dévisager. Avait-il remarqué mes crochets ? M'avait-il entendu dans la salle de bain ? Avait-il connaissance de ce qu'il m'arrivait ?
– Qu'es-ce que tu fais avec ce masque ? dit-il, mettant alors fin au torrent de pensée qui allait bientôt me submerger.
Il me fallait vite une bonne excuse, et tant pis si je lui mentais. De toute façon, j'étais contraint de lui mentir : je ne pouvais pas lui dire mon secret, ou, du moins, pas encore. Je n'étais pas prêt.