Combler le vide
Je me relevai douloureusement avec l'aide de Leïla, me positionnai entre elle et le contrôleur, et prit une grande inspiration.
– Je suis terriblement désolé de vous avoir fait peur, ce n'était pas mon attention et sachez que je ne vous veux aucun mal, commençai-je en m'adressant au jeune homme.
– Alors vous n'allez pas me manger ?
– Non, bien sûr que non, jamais je ne pourrais faire une chose pareille.
Cela semblait le rassurer. Mais d'où lui venait donc cette idée ? En même tant, mon physique désavantageux devait certainement le pousser à croire que je me nourrissais de chair humaine...
– Ensuite, pardonnez mon amie. Elle voulait juste mon bien, et cela ne se reproduira plus.
La harpie leva les yeux au ciel. Elle n'aimait pas être prise pour une brute sans cervelle, et le fait que j'ai parlé en son nom la vexait au plus haut point. Le contrôleur n'en restait pas moins déboussolé par ce qu'il lui arrivait.
– Et... Vous venez de quel planète exactement ?
– Je ne suis pas un extraterrestre, mais un humain, comme vous !
– Ç-Ça là, c'est pas normal ! Vous ne devriez pas avoir...
– Cette apparence ? Oui, je sais que ça peut être choquant à première vue, mais je n'y suis pour rien et je ne sais pas comment c'est arrivé. Nous aimerions seulement que vous n'en parliez à personne.
– Si je ne fais pas ce que vous dites, vous allez me manger ?
– Bordel ! JE NE VAIS PAS VOUS MANGER ! Combien de fois il va falloir que je vous le dise ?!
L'autre prit peur et s'enfuit à toutes jambes hors de notre car, sans même prendre la peine de tourner ses clés dans la serrure. Je voulus donc le suivre, mais Leïla me retint par l'épaule en secouant la tête.
– Ce n'est pas la peine, murmura-t-elle.
– Pas la peine ?! Ce type va me dénoncer !
C'était sûr à présent. Vu son comportement à mon égard, je ne donnais pas cher de ma peau quand il retrouverait le moyen d'informer les autorités de ma présence.
– Je pense que tu lui as foutu les boules pour le restant de ses jours, et c'est pour cela qu'il ne dira rien. Tu peux te montrer vraiment persuasif quand tu t'y mets...
– Mais je n'ai pas envie d'être persuasif, Leïla, ni intimidant, je ne veux plus que la seule émotion qui imprègne les gens lorsqu'ils me voient soit la peur.
Leïla ne sut pas quoi répondre. Eliot passa sa tête par la porte de ma chambre, comme s'il attendait depuis le début la fin de notre conversation pour pouvoir se pointer. Savoir qu'il nous écoutait depuis le début ne m'enchantait guère, mais je dus me résoudre à le rejoindre. Il fallait aller au bout de notre plan, car maintenant il nous était impossible de faire marche arrière. Avant de quitter le bus, Leïla m'assura qu'elle essaierait de contacter Nathan ; son absence devenait vraiment préoccupante, même pour elle.
– Un problème ? soufflèrent les pensées d'Eliot quand la harpie eut totalement disparu.
Cela me surpris ; il n'y avait aucune forme de sarcasme ni de mépris dans sa voix, pas de second sens, jamais ça n'était arrivé auparavant. Il s'inquiétait réellement pour moi.
– Oui, répondis-je en me glissant dans ma toile. Plusieurs même.
– La vie est essentiellement une série infinie de problèmes. La solution à un problème est simplement la création du prochain problème. N'espère pas une vie sans problèmes. Ça n'existe pas. Au lieu de cela, espère une vie pleine de bons problèmes.